Jadis fleur fine du classicisme français, la conversation fût langage, rhétorique et esthétisme tout à la fois. Symbole d’une société de Cour, elle a disparu avec la Révolution française. Dans la France moderne, on la rencontre peu. On la dit même parfois éteinte.
La conversation a donc quitté les salons galants mais elle est toutefois toujours aux origines de la création. De rencontres, de lectures, de musiques entendues et d’images ancrées dans la mémoire naissent en effet les oeuvres nouvelles. Le compositeur et l’artiste en général pratiquent encore cet art de la conversation. En voici un très bel exemple contemporain.

Paraphrase antique est une oeuvre musicale hybride contemporaine écrite par un jeune compositeur français: Matthieu Stefanelli. Nous avons parlé de « forme hybride », et c’est là l’exacte formule employée par le compositeur, car cette oeuvre se situe à mi-chemin entre la symphonie et le concerto. Une symphonie concertante diront d’autres.
Composée de 3 mouvements, cette oeuvre est très intéressante par sa structure. Un premier mouvement pour violoncelle et orchestre est suivi d’un second mouvement pour violon et orchestre. Le troisième mouvement est alors la synthèse où se rejoignent violoncelle et violon dans un mouvement fou de bacchanale. Autres points techniques intéressants… si le premier mouvement comporte de nombreux moments « solistiques », le second est bien plus orchestral (avec toutefois une cadence libre) tandis que le dernier mouvement est un final de synthèse. Matthieu Stefanelli a donc ici noué les fils intemporels de la musique classique pour mieux les dénouer. Nous parlions de conversation, en voici donc une première illustration.
Conversation dans la forme, Paraphrase antique sollicite aussi les mythes antiques et la littérature classique. Le second mouvement, « Sur un poème en prose » est une interprétation d’un poème en prose de Baudelaire : Le Fou et la Vénus de 1869. On note aussi une référence marquée à Ligeti et ses cordes à vide. Pourquoi ? 2006, date de naissance de ce second mouvement ou date de disparition de Ligeti. Et puis, ces Paraphrases antiques en trois mouvements ne sont que dialogue avec cette antiquité qui nourrit notre culture : Le Dieu Pan, Vénus, Eole, la Bacchanale…
Nous souhaitons à cette oeuvre musicale moderne de talentueux interprètes. Oser jouer la musique contemporaine devant le public, c’est aussi contribuer à perpétuer l’âme de la musique classique, c’est-à-dire son immense pouvoir créatif.
« Et ses yeux disent : — « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d’amour et d’amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendre et sentir l’immortelle Beauté ! Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! »
Mais l’implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre. » Baudelaire, Le Fou et la Vénus, Petits poèmes en prose
