La Symphonie « Titan » à l’Orchestre National de Lille

Les 1er et 2 février 2019, l’Orchestre National de Lille offre au public la Symphonie n°1 en ré majeur « Titan » de Mahler.
On oublie trop souvent le titre donné à cette symphonie par son compositeur en 1894 : « Titan, poème musical en forme de symphonie. » Plus tard, « Titan » reste seul pour désigner la symphonie, mais qu’importe. Le terme « poème » donne une clé essentielle de compréhension.
Titan c’est aussi, ne l’oublions pas, le titre d’un roman écrit par un écrivain romantique allemand (Johann Paul Richter), roman dont le héros, Albano de Cesara, apprend à affronter la subversion du monde par la rêverie, l’exaltation et la force de son imagination.
Une référence littéraire qui, toutefois, a été niée et reniée par Gustav Mahler…Cela seul aurait pu susciter chez nous l’envie de travailler davantage sur les sources d’inspirations du compositeur et les raisons de ce déni.
C’était sans compter une conversation enjouée et libre avec Alexandre Bloch sur son travail de préparation des concerts à venir.
Dans le train, Alexandre Bloch emporte toujours deux valises…

Comment Alexandre Bloch travaille-t-il pour mieux entrer en communion avec l’oeuvre qu’il choisit de travailler avec son orchestre ?
Nous l’avions imaginé confortablement assis devant un bureau ou un canapé en train de lire et relire partitions, biographies, recueils en tous genres… Nous nous sommes gravement trompé de décennie et de génération et même d’état d’esprit et de style.
C’est que le jeune chef lillois voyage, beaucoup entre Lille et Paris. Et toujours avec deux valises ! L’une nous intrigue plus que l’autre : celle du moment emporte, dit-il, les partitions des deux premières symphonies de Mahler et beaucoup de livres…. Au sujet de Mahler puisque la Symphonie Titan est un moment d’écriture largement autobiographique. Au sujet des concerts dirigés par le compositeur à l’époque de l’écriture de sa symphonie. Au sujet de ses amours malheureux avec Madame Von Weber, cantatrice, et bien d’autres femmes …
Avec sa valise pleine de partitions et de livres, Alexandre Bloch part aussi rencontrer les objets ayant appartenu à Gustav Mahler, sa baguette ou encore ses lunettes. A la Fondation Henry-Louis de Lagrange et à la Médiathèque musicale Mahler de la Fondation Royaumont, ses visites sont des rendez-vous privilégiés avec le compositeur et sa musique. Pour notre jeune chef, Gustav Mahler, c’est « le roi pour transcrire des émotions » mais quand on écoute Alexandre Bloch l’évoquer, on entend bien davantage de choses. Une admiration instinctive qui s’est transformée, avec le travail et l’étude, en une communion de ressentis.
Le Cycle Mahler, « c’était le bon moment.. »

L’Orchestre National de Lille est en pleine métamorphose. Le cycle Mahler qui jalonnera toute la saison musicale 2019 de l’orchestre est, d’une certaine façon, une naissance pour l’orchestre et son chef.
Il y a bien sûr les changements visibles avec l’intégration de nouveaux et souvent jeunes musiciens. Il y a aussi tout ce que le public connait moins : le travail en petits groupes et les bien plus nombreux regroupements des musiciens en répétitions partielles.
On est à la recherche du son, on fouille en profondeur les partitions, on traque les détails pour que les mots « précision », « attaque », « articulation », « justesse » deviennent les adjectifs qualificatifs de l’orchestre lui-même.
Pour y parvenir, Alexandre Bloch fait donc évoluer les méthodes de travail de l’orchestre. Il donne aussi à ses musiciens des outils pédagogiques propres à laisser mûrir en chacun les fruits de sa propre quête : la valise, les partitions, les livres, les objets…
Sur la feuille de route qu’il a rédigée pour eux, on y découvre des éléments historiques, des citations et puis le texte en allemand et en français de deux Lieder dont la connaissance est utile à la compréhension du premier mouvement (Gint heunt’morgen über’s Feld) puis de la partie centrale du troisième mouvement de la symphonie (Die zwei blauen Augen von meinem Schatz). Des textes repris par Mahler « note pour note » qu’il est essentiel de lire puisqu’ils « confirment ce qu’on devine à la lecture de la partition ».
Dans la valise d’Alexandre Bloch, il y a tout un univers de culture personnelle, de rêveries et de travail… Nous le remercions chaleureusement de la confiance qu’il nous a accordée.
Ici le texte des Lieder évoqués plus haut.
Gint heut’morgen ûber’s Feld
Ce matin, j’ai marché à travers les champs.La rosée était encore accrochée à l’herbe ;Le joyeux pinson me parlait :
« Eh toi ! N’est-ce pas ? Quel beau matin ! N’est-ce pas ?
Cui-cui ! Beau et vif !
Comme le monde me plaît
Die zwei blauen Augen von meinem Schatz
Les deux yeux bleus de ma bien-aimée
m’ont envoyé dans le vaste monde.
Alors je dois dire adieu à cet endroit très cher.
Oh,, yeux bleus ! Pourquoi m’avez-vous regardé ?
Maintenant j’ai un chagrin et une douleur éternels !
Je suis parti dans la nuit tranquille,
à travers la lande sombre.
Personne ne m’a dit adieu.
Adieu !
Mes compagnons étaient l’amour et le chagrin.
Sur la route se tenait un tilleul,
Et là pour la première fois j’ai dormi.
Sous le tilleul,
Qui faisait tomber sur moi ses fleurs comme de la neige,
Je ne savais pas ce que la vie fait,
Et tout, tout, s’est arrangé !
Tout, tout ! Amour et chagrin,
Et le monde et le rêve !