« A un moment donné, il y a la lumière qui entre ».
A chaque spectateur sa sensibilité. A chaque sensibilité, la mémoire plus vive de certaines notes, d’une phrase musicale ou de quelques mots choisis. Cela ne veut pas dire que cette note ou ces mots soient le tout d’un concert. Plutôt le moment où le spectateur a rencontré la musique de la façon la plus intime.

Nous étions Rue des Arts, à Roubaix, un dimanche après-midi. Quatre trombones (Mathias Desferet, Yves Bauer, Janusz Greliak, Nicolas Castelin) et un orgue (Nicolas Bucher, directeur du Centre de Musique Baroque de Versailles) investissent de leurs sonorités profondes et riches un Temple protestant tout en retenue, avec ses vieux parquets qui grincent, ses fauteuils de velours usé et la lumière blanche qui s’abat depuis les hauts vitraux sur une pièce assez sombre.

Nous avons donc saisi au vol cette phrase prononcée par l’un des musiciens pour annoncer le Processionnal « Let there be light » de Charles IVES.
« A un moment donné, il y a la lumière » répondait en effet parfaitement à l’atmosphère de ce lieu, au son puissant et enveloppant des instruments et puis évidemment, à la structure de cette composition de Charles Ives.
Charles IVES … Un américain du Connecticut décédé en 1954 à New York. Qui était diplômé de la Yale University après avoir suivi les cours d’Horatio Parker. Qui a choisi de ne pas faire carrière dans la musique et de gagner sa vie en créant une compagnie d’assurances. Qui était donc compositeur sans en vivre, ni financièrement ni socialement. Une oeuvre musicale composée dans l’ombre d’une carrière d’assureur, cela a un certain cachet.

Charles IVES a donc vécu sa vie d’artiste à l’américaine. Librement et sans contraintes. Ses compositions, à l’image de sa vie, étaient riches d’inventions et d’expérimentations : atonalité, utilisation du quart de ton ou de groupes d’instruments dispersés dans l’espace. Il était aussi chantre d’une grande liberté d’expression : loin de l’académisme, il travaillait aussi avec tout ce qui fait la vie sociale : des danses populaires, des chants patriotiques, des marches. Comme Hector Berlioz, il était fasciné par la musique d’extérieur…
Si nous avons choisi d’évoquer ici Charles Ives et son Processional « Let there be light », c’est qu’à notre sens, le charme du concert donné par le brillant quatuor Trombonissimo et Nicolas BUCHER ce jour-là résidait dans le choix des pièces jouées. Le programme répondait en effet parfaitement à l’esprit du lieu qui l’abritait.
Quand on arrive au Temple à Roubaix un dimanche après midi et que les solistes vous accueillent avec un grand sourire et vous embrassent (presqu’à l’américaine), on se dit que la musique classique et ses ambassadeurs musiciens portent en eux une bien jolie lumière.
Et puis qu’est-ce qu’ils jouent bien ces cinq là !
