Terminus Nord. Face à la Gare du Nord en fin de journée. Nous sommes installées dans cette brasserie très parisienne, comme protégées des mouvements incessants du tout Paris en partance. D’un arrondissement à l’autre, du travail à la maison, de la capitale aux ailleurs promis par la gare, dehors tout est bruit. Mais l’heure passée en compagnie de Shani Diluka à interroger la musique classique est sereine et paisible.

Le discours, parlé ou musical, doit venir du coeur
Shani Diluka est curieuse de tous les univers. Pianiste et poétesse, elle a publié un recueil « Canopées » en février 2018 aux éditions ART 3. D’une vie partagée entre les notes et les mots, elle incarne l’ouverture à toutes les formes d’art et d’expression.
Dès son arrivée, elle relate son expérience de jury au concours de la Conférence des avocats du Barreau de Paris. Quel n’est pas son émerveillement ! Les sujets semblent en effet choisis pour la séduire et l’enchanter : « Faut-il viser les étoiles ? », « Faut-il se faire beau pour le grand soir ?»…
Ses échanges avec l’avocat Mario Stasi sur les points communs entre le discours musical et le discours parlé suscitent chez elle l’admiration. « En rhétorique ou en musique, on apprend à mettre en lumière un thème puis à le développer ». « On construit l’oeuvre avec sincérité », nous dit-elle. « Avec les notes ou avec les mots, c’est le coeur qui doit parler ». Coeur ! Le mot est prononcé.
Entre soi et les étoiles, paraître n’a plus de substance

A l’image de l’avocat qui vient à la barre pour plaider une cause, défendre une victime ou servir la justice, le coeur du musicien parle. « Oui, jouer, c’est une vérité à laquelle on croit, quelque chose qui vient de l’âme ». Shani développe son idée et notre conversation devient passionnante. « Je crois au fait qu’il ne devrait y avoir aucune frontière entre l’être et le paraître, entre l’extérieur et l’intérieur ».
Shani évoque l’intérieur et l’extérieur de l’artiste comme s’il s’agissait de planètes. L’intérieur et l’extérieur doivent s’aligner totalement. Sur scène, le musicien doit abolir le regard des autres pour être sincère. « Si on se voit en train de jouer ou bien si on se dit que l’on est regardé, alors on sort de nous-même et on n’est plus dans la vérité. On doit tellement être en soi, rentrer dans une intériorité que finalement, il ne doit rester plus que soi-même et les étoiles. » A ce moment là, l’artiste et son public partagent ensemble un moment unique. Ils entrent en communion et vivent un moment fort.
L’apparence de l’artiste pourrait-elle empêcher cette communion ? Nous pensons évidemment aux artifices de la scène, aux gestes amples et démonstratifs, aux robes extravagantes et aux talons vertigineux. Shani, formée à l’école allemande, croit plus simplement en la musique. « Je crois que la musique a cette force incroyable que de pouvoir contrer la superficialité et les apparences. La musique classique est peut-être en train de succomber à certains phénomènes sociaux : le divertissement, la communication, la séduction, la sexualité… Au fond, on n’écoute plus. Cela m’attriste.»
La promesse d’un ailleurs

La musique s’écoute. « Oui !!! Ce qui est beau, c’est qu’elle nous emmène dans un ailleurs, vous savez… cet ailleurs qui nous est interdit par le quotidien ». Mais l’ailleurs nous est offert aussi par le jazz, le cinéma, la peinture… Shani précise : « Ce qu’on cherche avec la musique classique, c’est une poésie, c’est la possibilité de parvenir à une certaine profondeur. L’ailleurs c’est une émotion vraie et une intuition. La musique classique permet d’émouvoir sans expliquer. »
La musique classique n’a-t-elle donc pas besoin d’être expliquée pour être mieux comprise ? Là encore, nos échanges sont nourris. Shani n’a pas hérité dans son enfance des codes culturels occidentaux. Comme elle le dit si justement, elle n’a « pas reçu les codes culturels mais seulement les maîtres ». Et quelle chance puisqu’elle a pu découvrir Chopin ou Beethoven sans avoir été formatée.
Voilà qui est porteur d’espoir. Notre pianiste le confirme. Elle consacre environ 20% de son activité de musicienne à des concerts « humanitaires » et témoigne. Etablir un rapport direct grâce à la musique alors même que les codes et les connaissances sont inexistants est magique.
En concert devant des enfants autistes, des prisonniers ou au Théâtre de l’Odéon au profit de l’Association SOS Méditerranée, l’expérience est au fond toujours la même. Pris au coeur de l’émotion vraie et au-delà les discours, le public s’ouvre. « Ce sont des publics non avertis, mais il se passe quelque chose….. On se reconnait au travers de la musique car c’est d’une âme à une autre que les notes passent, sans explication mais avec sincérité ! »
L’artiste appartient à la Cité
Pas tout à fait européenne. Pas tout à fait Sri-Lankaise. Shani, dès l’enfance, a cherché à connaitre le monde. Son monde… Et son monde s’est fait musique. « En occident, nous sommes très portés par la performance, la réussite et la prévalence du concours. Pour ma part, même lorsque j’étais élève au Conservatoire de Paris, je me disais qu’il faut jouer avec la vie et qu’il est faux de penser qu’on joue sa vie à chaque fois. »
Jouer avec la vie plutôt que sa vie… Shani porte au fond d’elle la volonté de se détacher de l’enjeu pour mieux s’unir au monde par la musique. Pas des épousailles lointaines du haut d’une tour… de Babel mais un lien authentique avec le quotidien de tous. Le Figaro, Le Monde, Libération. Shani les lit chaque matin, et s’amuse de leurs variations sur un même thème.
L’artiste n’est-il pas « au dessus » de tout ce « brouhaha » ? Nuancer encore. « L’artiste doit mettre en éveil », répond Shani. Oui mais à quel point ? Emmener son instrument et jouer devant un mur ou une cathédrale ? « Ce qui est important c’est la cohérence. L’artiste doit travailler avec conscience et offrir son travail avec humilité. Il ne peut jamais être séparé du citoyen… La cohérence, voilà ce qui fait la vérité d’un artiste. »
Cosmos, le projet bien-nommé d’une artiste tout en continuité

Nous avons écouté avec émerveillement Tempéraments, ce disque magnifique de Shani paru en février 2019 chez Mirare. Un disque qui transporte l’auditeur au coeur de la relation filiale méconnue entre Mozart et CPE Bach. Un regard subtil sur l’âme, aux prémices du romantisme.
En 2020, elle nous promet des voyages encore plus étonnants. Cette fois-ci, il s’agit de Beethoven et de ses liens insoupçonnés avec la spiritualité indienne. Cosmos en est le titre…. En Concert le 23 février 2020 au Théâtre des Champs-Elysées ou au Festival Lux Aeterna de Hambourg en 2019, elle jouera aux côtés de Sahana Banergee (Sitar) et de Prabuh Edouard (Tablah).
La cohérence, voilà ce qui fait la vérité de Shani Diluka. Et quelle artiste !
Pour en savoir davantage sur Cosmos et le concert au Théâtre des Champs-Elysées, cliquez sur le lien !
https://2020.theatrechampselysees.fr/la-saison/concerts-du-dimanche-matin/shani-diluka
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