Fanny Azzuro est pianiste concertiste et maman d’une petite fille âgée de trois ans. Voyez-vous cette photographie magnifique de l’artiste prise par Yann Renoult ? L’artiste devant son piano comme devant un miroir.
La musique est l’art du temps par nature et par excellence. Mais le temps, cette subdivision de la mesure, est aussi pour l’artiste une réalité de chaque instant.

C’est que l’instrument impose son rythme. A l’artiste de s’en émouvoir ou de s’en amuser. Les répétitions et les voyages du musicien concertiste imposent en effet le tempo. Et Fanny d’évoquer avec nous sa relation au temps et ses petits carnets de travail.
Poser les idées et mûrir la réflexion
Les premiers mots d’un échange sont souvent évocateurs. Passées les premières politesses, elle lance un « Je suis plus à l’aise à l’écrit. »
Est-ce à dire que l’artiste est en train de me suggérer à quel point l’exercice de l’interview sera une épreuve pour elle ? Pas du tout. D’emblée, Fanny Azzuro évoque son quotidien et me montre l’un de ses carnets de travail. « Quand je travaille, l’écriture me permet de poser mes idées et de mûrir ma réflexion. »
Le temps est une notion centrale dans la vie d’un concertiste. Les musiciens amateurs ou étudiants demandent souvent au musicien professionnel de leur dire combien de temps il leur faudrait travailler l’instrument chaque jour. La question n’est pas là seulement. Dans les carnets de Fanny, chaque jour, une liste des passages à travailler et surtout, un point d’amélioration à apporter sur tel ou tel angle. « Mieux vaut un travail bien construit et réfléchi qu’un travail mal organisé. Il faut en effet savoir où on doit s’améliorer et réussir à être objectif. »
« Concrètement, j’ai besoin de temps »

La vie de l’artiste n’est pas éthérée. Chaque jour donc, Fanny planifie et organise son travail, tout à fait différemment selon que la pièce à interpréter est nouvelle ou pas. « En effet, il est plus difficile de trouver une rigueur de travail quand il s’agit d’une pièce que l’on a déjà beaucoup joué. Les réflexes digitaux … Le risque c’est de faire confiance à nos doigts. Et là, derrière… l’ombre du stress et du trou de mémoire en concert. »
Fanny continue : « J’écris tous mes doigtés.» A l’instar des carnets, le support « partition papier » est bien là. Fanny a besoin de noter et rit … « Si tu voyais mes partitions, tu aimerais les faire encadrer tellement il y a de notes. J’ai besoin de m’imprégner et de prendre du temps pour chaque partition. J’ai besoin de travailler une partition pendant plusieurs mois, puis de la laisser, puis de la reprendre. »
A écouter Fanny Azzuro parler, on entend le temps qui vous file entre les doigts et l’organisation mise en place pour le contenir et le dompter.
Une vie faite de contrastes
La vie d’un artiste est faite de contrastes qui s’articulent autour de la notion « temps ».
Le temps du travail de préparation est solitaire et doit être organisé. Chacun sa méthode de travail. Fanny s’impose une liste d’objectifs à remplir en les inscrivant dans un carnet.
Mais la vie de concertiste c’est aussi celle des chronophages voyages et concerts. Un temps du partage et de l’échange qui s’annonce comme une récompense du travail fourni mais qu’il s’agit d’apprivoiser tout autant.
En tournée aux Etats-Unis en avril 2019, Fanny Azzuro a donné plusieurs concerts à New-York, Washington, Dallas… Un voyage de dix jours au sujet duquel elle regrette l’impossibilité de répéter autant qu’elle l’aurait souhaité. « Le rythme des concerts est perturbant car il efface la notion de régularité de la vie. » Toutefois, le visage de Fanny s’illumine très vite. « Quand on est concertiste, on choisit le type de carrière qu’on souhaite privilégier. Jusqu’à présent, je me sens portée et heureuse de jouer dans des salles qui me permettent de communiquer et d’échanger avec le public. »
Fanny Azzuro, New York, Avril 2019. Crédit photo : Mark Morris Photography Fanny Azzuro, New York, Avril 2019. Crédit photo : Mark Morris Photography
Il faut vraiment le vouloir…
Cette tournée américaine correspond donc parfaitement aux choix de notre artiste. Les concerts intimistes et parfois privés lui permettent d’apprivoiser l’une des grandes difficultés du métier de concertiste, celle du contraste entre le trop peu et le trop plein.
Entre la solitude extrême du travail journalier et la profusion des rencontres liées au concert, la voie de Fanny est donc celle du partage et de l’échange avec le public dans des salles « pas forcément grandes ». « Ces concerts sont rassurants. Le partage avec le public est possible et se fait bien au-delà du concert. J’en ai besoin car je crois que nous ne sommes pas là pour jouer parfaitement mais plutôt pour communiquer et donner. »
Mais les voyages fatiguent et la petite fille reste à la maison. « Depuis que j’ai ma fille, je me pose la question de savoir si je vais pouvoir continuer à partir. En fait, je n’ai jamais vraiment arrêté puisque dix jours après mon accouchement, je jouais déjà. ». Fanny se met à rire : « Heureusement, j’ai la chance d’avoir un mari qui n’est pas musicien et qui est toujours présent, de même que mes parents qui sont en forme et peuvent se déplacer quand il le faut. »
Tout est donc question d’organisation. Les carnets organisent le travail. La famille entoure l’artiste et le soutient. Fanny de conclure en admettant que le métier de concertiste impose à tous son rythme. « Il faut vraiment le vouloir… »
Les projets aussi ont leur carnet

Nous évoquions les carnets de travail et de répétition de Fanny. Un autre carnet existe : celui des projets et des idées de disques. A foison. « Je suis tellement enthousiaste ! J’ai énormément d’idées. J’essaie depuis toujours de défendre un répertoire attitré tous les ans ou tous les deux ans et d’être fidèle à mon projet d’enregistrement. » Un seul programme donc ? « Je me retrouve aussi parfois dans l’obligation de proposer plusieurs programmes pour satisfaire les exigences des programmateurs. Et là, les choses peuvent être plus difficiles. »
Le fameux carnet contient bien des idées. Depuis une collaboration heureuse avec le SpiriTango Quartet, en passant par un projet d’enregistrement avec la percussionniste Adelaide Ferrière ou un autre avec le pianiste jazz Hervé Sellin, et encore un autre avec la violoniste Solenne Païdassi… Passionnée par la musique du vingtième siècle, Fanny est fortement attirée par le jazz, le tango et toutes les possibilités offertes à ceux qui ne s’enferment pas dans un répertoire solo. Les carnets se remplissent donc vite.

A propos… Fanny sera à Lille le 16 juin 2019 dans le cadre du Lille Piano Festival pour « un récital mais pas que ». Un spectacle piano et danse mis en scène par Parelle Gervasoni autour du programme de son disque 1905 Impressions paru chez Paraty. (Isaac Albéniz, Claude Debussy et Maurice Ravel).

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