Bravo, vous avez cliqué sur le titre de cet article ! L’auriez-vous fait si nous avions évoqué les chansons de la Renaissance ? Auriez-vous pris le temps de lire quelques lignes dédiées aux chansons de Clément Janequin et Claude Le Jeune ? Peu importe la réponse puisque vous êtes là.
Chansons de la Renaissance : Boire, lire, chanter et jouer de la musique
Vous n’auriez donc peut-être pas cliqué.

Pourtant cette musique de la Renaissance a de quoi ravir le curieux. Il s’agit là, en effet, d’une musique écrite pour le plaisir des interprètes dans un cadre privé.
Oui, la musique n’a pas toujours été composée pour être entendue en concert ni même pour être louée, jugée, critiquée, décortiquée ou… adulée par un public friand de modes et d’airs en vogue. Jean-Christophe Groffe, directeur artistique de l’Ensemble Thélème l’exprime en des termes très simples : « La pratique de cette musique-là, c’était… on mange avec des copains et à la fin de la soirée, quand on a terminé le repas, on va chercher les partitions et on chante ensemble. »
Voilà donc l’une des portes d’entrée vers la musique de la Renaissance, mais il en existe bien d’autres. Dans tous les cas, nous sommes certains que ces mots vous interpellent et c’est tant mieux. La musique de cette période est en effet d’une richesse incomparable, à l’image exacte de l’époque dans laquelle elle s’épanouit. Cette « Renaissance » qui s’empare de la culture gréco-latine pour mieux inventer et créer. Cette Renaissance habitée par la philosophie antique et qui pourtant, est en proie aux cruels soubresauts des guerres de religions.
Redécouvrir Clément Janequin et Claude Le Jeune

Clément Janequin et Claude Le Jeune sont deux compositeurs majeurs du XVIe siècle. Le premier ouvre le siècle et le second le clôt. L’un est emblématique de la première Renaissance et l’autre assure la transition avec l’époque baroque. Qu’est-ce à dire ? Bien davantage évidemment. Cette musique là est connue ou méconnue, rarement autrement que par le trop bien ou le trop peu, malgré les multiples enregistrements de Dominique Visse qui restent une référence en la matière.
L’ensemble Thélème fondé en 2013 par Jean-Christophe Groffe, propose Amour et Mars, second opus d’une trilogie parue chez Coviello Classics et dédiée à la musique de la Renaissance.
Au programme de ce second disque, des compositions de Claude Le Jeune et Clément Janequin, mais aussi Nicolas Vallet, Pierre Attaingnant, Pierre Guédron, et même un anonyme. Deuxième fois que vous vous posez la question… Qu’est-ce-à-dire ?
Des chansons et des airs de la Renaissance qui interrogent nos conceptions actuelles
Les compositions musicales de la Renaissance, qu’il s’agisse des chansons d’un Janequin ou d’un Le Jeune, méritent une écoute moderne attentive. En bien des occurrences, en effet, elles interrogent l’esprit contemporain et l’enrichissent de leurs conceptions de la culture en général et de la musique en particulier.
Droit d’auteur, copyright, copie, recyclage et sampling
Voilà des mots bien modernes et même pour certains hérités de la langue de Shakespeare, comble du chic. L’histoire de la musique connait fort bien les procédés de la copie, du recyclage et de la parodie. Jean-Christophe Groffe rappelle que « le droit d’auteur, le copyright et le nom d’auteur sont des notions qui arrivent relativement tard dans l’histoire. » C’est que, dans les temps plus anciens, comme à l’époque de la Renaissance, « on se réjouit qu’un compositeur utilise quelque chose qu’on a écrit. Il s’agit là d’un hommage et le fait de réutiliser du matériel qui existe déjà n’est pas quelque chose de péjoratif. A la Renaissance, on se réjouit de réutiliser du matériel qu’on connait, de le triturer, de le malaxer, de le transformer, de le citer et de le recopier. »
Un art de composer la musique fortement empreint des traités de rhétorique et de stylistique grecs et latins. Un jeu d’hommage entre maîtres et disciples qu’on savoure aussi dans l’oeuvre de Claude Le Jeune et de Clément Janequin. Vous écouterez, par exemple, Le Chant du Rossignol ou Le Chant de l’Alouette… (Un extrait vous est proposé à la fin de cet article).
« Quand Le Jeune réutilise Janequin, c’est formidable ! Cela nous permet de comprendre à quel point Clément Janequin est un compositeur de grande renommée. Cela donne encore plus d’importance à Janequin qui en a de toute façon…» La paraphrase, la parodie comme procédés honnêtes de composition ? Oui, la question est moderne et n’avait aucun sens à l’époque de la Renaissance. Il s’agissait là d’une conception savante de la composition empreinte des conceptions antiques de l’écriture, et qui ne disparaitra que plus tard avec la naissance de l’expressivité.

Extrême liberté de langage et infinis niveaux de lecture
Liberté de langage
Vous connaissez le langage expressif et grivois, la couleur du vocabulaire rabelaisiens. A qui prend le temps de lire les textes des chansons de Clément Janequin et de Claude Le Jeune y lira aussi bien humour, légèreté, drôlerie et franche obscénité parfois. « Je pense que cela permet de rendre cette musique accessible au public contemporain. Il y a là, en effet, dans cet humour et cet usage très libre du vocabulaire, un chemin d’accès évident ».

Virtuosité et niveaux de lecture infinis
Au programme d’Amour et Mars, des chansons courtes et légères, ce qui n’exclue toutefois absolument pas la virtuosité. Le contrepoint est parfois extrêmement savant. Mais il y a même davantage. « Ce qui est très propre à la Renaissance aussi, c’est la superposition, quasiment à l’infini, de niveaux de lecture différents. Un premier niveau avec le texte, parfois simple ou descriptif. Puis la musique, puis les références. »
On parle ici de références littéraires comme Ovide ou philosophiques comme Platon. L’humanisme, en effet, instille en chaque esprit de l’époque son lot de découvertes et de grandioses émerveillements.
On parle aussi des choix d’instrumentation. Jean-Christrophe Groffe rappelle en effet à quel point « Les possibilités sont multiples. La Renaissance est une période très ouverte. Prenons l’exemple des chansons de Janequin avec cette écriture pour laquelle on peut choisir les chanteurs, les instruments, le mélange des deux… Il y a une très très grande liberté. »
Amour et Mars combine habilement des pièces polyphoniques, a cappella ou instrumentales. On y chante la guerre et l’amour. Avec humour ou colère mais toujours en chanson. Avec finesse et délicatesse, les voix se mêlent. En votre esprit peut-être, l’humanisme se fera musique.
Gang Flow remercie Jean-Christophe Groffe de cet entretien.