
Vittorio Forte signe chez Odradek Records un disque consacré à Carl Philipp Emmanuel Bach. Intitulé Abschied en écho au Rondo en mi mineur que le compositeur avait lui-même intitulé Abschied von Meinen Silbermannischen Clavier, il présente au public des Fantaisies, des Rondos ainsi que les 12 variations sur la Folia d’Espagne.
Des Fantaisies et des Rondos de C.P.E Bach, on retient l’inventivité et « l’improvisation mise sur papier » dit Vittorio Forte. C’est que le compositeur ouvre une nouvelle ère pour la musique en lui révélant les cieux de l’émotion.
Le programme développé dans ce disque ressemble à l’artiste qui l’a porté. Emotif et sincère, fantaisiste et élégant, ce musicien italien qui a « épousé la France », selon ses propres termes, n’en finit pas de nous charmer.
L’émotion au coeur du travail de C.P.E Bach
En quoi la musique de C.P.E Bach a-t-elle le pouvoir d’emmener le public contemporain ? Vittorio laisse quelques secondes s’échapper pour mieux retrouver le lien avec la vie de chacun d’entre nous. « J’essaie toujours de faire le lien avec les choses de la vie. Nous sommes toujours davantage touchés par ce qui nous surprend, que ce soit en bien ou en mal. Autrement dit, la routine n’est pas là pour nous émouvoir. En fait, toute la musique de C.P.E Bach pour clavier est écrite dans cet état de surprise. »
Musicalement parlant ? « Les phrases musicales sont rarement d’une logique imparable. Il y a au fond toujours quelque chose qui vient déranger l’habitude. Evidemment, pour nous qui connaissons Chopin, Liszt ou Schubert, nous ressentons très bien ce que peut être une émotion en musique. Mais n’oubliez pas qu’à cette époque même où C.P.E Bach écrit, on en est à peine aux prémices du romantisme. »
C.P.E Bach est donc celui par qui les questions se posent. Il bouscule les codes de la musique classique, ou du moins les codes de la musique écrite pour clavier « Oui, il arrive et il surprend tout le monde avec des harmonies qui grincent, des suspensions un peu théâtrales et toutes ces petites choses qui caractérisent le romantisme. »
La fantaisie, pour une expression libre
Abschied propose une suite de fantaisies et de rondos plutôt que des sonates…. « A chaque fois qu’un compositeur met le mot « fantaisie » sur l’une de ses partitions, on est toujours sur une expression libre. Pour le compositeur, c’est une délivrance totale de ses propres sentiments sur le clavier, sans aucun carcan formel. En effet, la sonate, le prélude ou la polonaise sont des formes beaucoup plus rigides. »


Vittorio choisit donc les fantaisies parce qu’elles sont le lieu d’expression d’une profonde inventivité. Bien sûr, le rondo est une forme plus légère avec un motif très répétitif et ces thèmes qui reviennent à plusieurs reprises et qu’on mémorise très facilement. Proposée dans Abschied de façon très symétrique, l’alternance entre rondos et fantaisies permet donc de mettre en valeur davantage encore la liberté d’écriture de CPE Bach dans ses fantaisies. « Il casse les codes et brise tout pour passer à autre chose mais sans renier tout ce que son père a pu donner à la musique. Le fond est là. Il crée alors les fondations sur lesquelles beaucoup de compositeurs pourront ensuite construire. »
De la forme musicale à l’instrument

Abschiedvon Meinen Silbermannischen Clavier, Adieu à mon clavicorde Silbermann…. Voilà le titre de la première pièce du disque. Une histoire dans l’Histoire. C.P.E Bach aurait donné son instrument préféré à l’un de ses élèves, Ewald von Grotthuss. Un cadeau très personnel, symbolique sans doute, mais dont on ne connait pas, au fond, la véritable motivation. Reste la pièce, magnifique.
Abschied von Meinen Silbermannischen Clavier, Adieu à mon clavicorde Silbermann…. Voilà le titre de la première pièce du disque. Une histoire dans l’Histoire. C.P.E Bach aurait donné son instrument préféré à l’un de ses élèves, Ewald von Grotthuss. Un cadeau très personnel, symbolique sans doute, mais dont on ne connait pas, au fond, la véritable motivation. Reste la pièce, magnifique.
Faut-il commenter cet acte du compositeur plus avant ? « Je pense que l’attachement d’un musicien à son instrument est peut-être plus important pour un violoniste ou un violoncelliste que pour un pianiste. Notre instrument s’abîme avec le temps. C’est la raison pour laquelle nous en changeons régulièrement. Et puis, on a toujours envie d’avoir un piano extraordinaire… Si on peut avoir une nouvelle Rolls-Royce du piano, on ne se gêne pas. » Vittorio se met à rire…
Réfléchir sur l’instrument fait partie de la vie d’un musicien professionnel. Jouer C.P.E Bach sur un pianoforte ferait-il sens ? «Jouer C.P.E Bach sur pianoforte ou Chopin sur un piano Pleyel de l’époque me semble être une démarche intéressante. Cela permet de se poser la question des couleurs, de l’adaptation et de bien des questions. Mais la démarche doit alors être sincère. J’ai travaillé, par exemple, avec Andreas Staier : la démarche artistique de ce pianiste, pianofortiste et claveciniste à la fois est admirable ! »
Regarder en arrière pour mieux voir en avant
Vittorio Forte. Crédit photo : Tommaso Tuzj
Abschied est donc une histoire. C’elle d’un clavicorde donné à l’élève et d’un rondo qui l’inscrit dans le répertoire. Vittorio a choisi ce mot Abschied (Adieu) pour titre de son album en songeant au rôle de passeur qu’a joué C.P.E Bach dans l’histoire de la musique. Un compositeur entre deux périodes qui a hérité du talent extraordinaire de son père et qui a été lui-même à l’origine de ce que tous les autres feront après lui. « Adieu, choisi pour le titre de ce disque peut correspondre à cette idée. C’est un adieu qui ne renie pas le passé. »
Au fond, C.P.E Bach pose la question de l’art. Il faut mûrir en soi le passé pour mieux créer l’avenir. Vittorio, imprégné de la culture gréco-latine, passionné d’arts picturaux et curieux de tout a les mots justes. « On dit qu’il ne faut jamais se retourner en arrière. Mais justement !!! Il faut regarder en arrière pour mieux voir en avant. »
Gang Flow remercie chaleureusement Vittorio Forte de cet entretien.
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