
La discographie de Patrick Langot est à son image. Plurielle mais jamais répétitive. Inventive et exigeante. Empreinte des musiques du passé et engagée pour la musique d’aujourd’hui.
Son dernier disque, Praeludio (Préludes et Ricercari), disponible depuis le 24 mai 2019 chez Klarthe Records, est cela tout à la fois.
Par le Prélude, Patrick Langot invite au dialogue des oeuvres séparées par 300 ans. Les contemporains Sofia Gubaidulina et Benoît Menut conversent ainsi avec Domenico Gabrielli et Johann Sebastien Bach. Patrick Langot, et les trois violoncelles qui l’ont accompagné pour cet enregistrement, est le lien virtuose qui les unit tous.
Avant Praeludio, les étés passés chez un mélomane ou dans une bibliothèque de Bologne
Un disque est souvent l’aboutissement d’un long dialogue. L’entourage, les lectures, les rencontres et les discussions suscitent chez un artiste le questionnement et l’interrogation. Quelques mois ou années plus tard, une réponse vient parfois, sous la forme d’un enregistrement pour les musiciens ou d’un livre pour les écrivains.

Le mélomane de l’ombre
Dernière page du livret de Praeludio, une ligne. « Ce disque est dédié à la mémoire de Raymond Langot, immense mélomane devant l’Eternel. » Absents de la toile, les liens que Patrick Langot a tissés avec son grand-oncle sont profonds et fondateurs. « Raymond était un mélomane de l’ombre. Blanchisseur de métier, il a passé sa vie à acheter de la musique, lire des livres et regarder le cinéma. Il allait spontanément à la sortie des concerts pour rencontrer les interprètes qu’il aimait, il leur écrivait et ils lui répondaient !! Toutes les vacances, je les passais chez lui. Il m’a fait découvrir des tas de musiciens inconnus. Il ne s’arrêtait pas à ce qu’il y a dans les salles de concert. »
A Bologne
« Ne pas s’arrêter à … ». Raymond puis Patrick Langot ont fait de cette expression verbale une réalité de vie. Tout jeune diplômé du CNSM de paris, le voilà étudiant à nouveau au CRR de Paris dans la classe de David Simpson, étonnant musicien virtuose et passionné de musique ancienne. « Là, j’ai découvert tellement de compositeurs ! Frescobaldi, Geminiani… Et !!!! Domenico Gabrielli, le premier à avoir écrit pour violoncelle seul. » Voici Patrick à la Bibliothèque de Bologne, en train de chercher et de photographier des partitions. « J’y suis allé avec deux amis et nous nous sommes retrouvés avec une montagne de musique, il y en avait tant, on ne savait pas quoi prendre et rien n’était édité. »


Patrick Langot : « Je fais dialoguer l’alpha et l’oméga de la forme du Prélude »
Du Ricercar au Prélude
De moments passés chez un grand oncle mélomane ou dans une antique bibliothèque d’Italie, l’artiste se nourrit, sans pouvoir déterminer à quel moment de sa vie, ces instants là reviendront pour illuminer d’autres instants créatifs.
Domenico Gabrielli, né à Bologne en 1659, fût donc un point de départ auquel Patrick Langot ne s’est pas arrêté. « J’avais très envie de faire un disque consacré à Domenico Gabrielli et ses Ricercari. Les Ricercari sont en effet les premières pièces pour violoncelle seul dont nous ayons la trace écrite. Puis je me suis dit que le lien entre Gabrielli et Bach était très fort. C’est que le Ricercar est, d’une certaine manière, l’ancêtre du Prélude.»

Une septième suite pour violoncelle de Bach ?
Le choix d’enregistrer les seuls préludes des six Suites pour Violoncelle de Johann Sebastian Bach peut sembler insuffisant ou frustrant. « Je les ai enregistrés comme une suite en elle-même. C’est un peu une septième suite. A mon sens, enregistrer les six préludes des six suites, c’était faire une septième suite, une suite de préludes comme un conclusion logique de ce qui venait déjà du passé. »
Ricercari et Préludes, Gabrielli et Bach. Intéressante mise en perspective à laquelle Patrick Langot ne s’est pas arrêté. Une fois de plus. Dans Praeludio, les Ricercari dialoguent en effet avec les 10 Préludes-Etudes pour violoncelle solo de Sofia Gubaidulina, née en République tatare en 1931. « Son écriture fait écho à celle de Gabrielli dans ses Ricercari. Une écriture très libre et très novatrice ! Ecoutez par exemple le dernier prélude senza arco, senza pizzicato, dans lequel les notes sont produites par simple percussion des doigts de la main gauche sur la touche et où de larges sections font appel à l’improvisation. »
Ricercari et Préludes ainsi alternés dans Praeludio sont un dialogue à 300 ans d’intervalle entre les deux compositeurs. Ils sont un moment exquis de pédagogie sur les possibilités et l’évolution de l’instrument.
Du Prélude au Postlude

Le Postlude de Benoît Menut a été composé spécialement pour Praeludio, comme une méditation qui explore à son tour l’instrument tout en s’imprégnant directement du programme du disque. Du Prélude au Postlude, le jeu est infini et la partition un terrain de recherche sans fin pour l’interprète.
« Je suis furieux (Patrick rit) ! Dans ce Postlude, j’ai encore découvert certains aspects il y a seulement quelques semaines alors que je travaillais la pièce avant un concert. Je me suis rendu compte de subtilités qui m’avaient échappé pour le disque !!! » Pour la petite histoire ? « Oui, j’ai raté la citation de Sofia Gubaidulina qu’il y a glissée. Je l’ai jouée, mais je crois que je n’avais pas tout saisi. Alors j’ai demandé à Benoît s’il m’avait préparé d’autres surprises du même style. Et il m’a répondu que oui !!!! Et en plus, c’est à moi de trouver. » Un compositeur un peu sévère avec l’interprète ? « Non, c’est un vrai copain parce qu’il me stimule ! »
Les trois violoncelles de Patrick Langot comme trois voix du dialogue jubilatoire d’un artiste avec la musique
Dans Praeludio, les compositeurs échangent et se répondent au son d’un violoncelle sensible et expressif. Trois instruments ont accompagné Patrick Langot dans cette conversation en terres du prélude : Un violoncelle baroque à cinq cordes de Leila Barbedette (2011), un violoncelle baroque « arlequin » anonyme (circa 1700) et un violoncelle d’Auguste Sébastien Bernardel (1829).
Crédit photo : Goswami Flores
Jusqu’au son de l’époque contemporaine
Pourquoi ? « C’était important pour moi que d’avoir ces trois instruments au disque. On entend parfois du Bach ou du baroque joué sur un instrument contemporain . Certains violoncellistes baroques jouent aussi de la musique contemporaine sur des instruments à boyaux. Personnellement, je suis passionné par l’histoire de l’instrument et l’évolution du son. » A chaque époque un son ? « Oui, dans ce disque, je me suis attaché à faire entendre le son de l’époque, y compris pour la musique contemporaine. »
Le son de l’époque contemporaine est une expression qui interpelle. « Prenons l’exemple de Sofia Gugaidulina. Ses Préludes-Etudes ont été créés en 1977 par Vladimir Tonkha avec des cordes en acier. Avec ces oeuvres, on est vraiment dans la tension. La compositrice joue beaucoup avec les harmoniques et les résonnances. De fait, la compositrice a tout écrit pour faire entendre une sonorité métallique. A mon avis, c’est avec des cordes en métal que cela sonne le mieux. »
Un enregistrement bonus révélateur d’une personnalité
En choisissant l’instrument le mieux adapté aux esthétiques sonores de chaque compositeur, Patrick Langot raconte une histoire. Et des histoires il peut vous en raconter sans discontinuer pendant des heures. Celle, par exemple, de la piste bonus insérée dans la seule version numérique de l’enregistrement. « Gabrielli a écrit, pour ses élèves, un Canon pour Deux Violoncelles. J’ai donc convié l’une de mes anciennes élèves de violoncelle baroque, Sériel Bocciarelli, et nous l’avons enregistré ensemble. » Patrick rit.
Le petit neveu du « merveilleux mélomane » est donc devenu un artiste follement sincère et authentique.
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