Michel Supéra : A la croisée des répertoires du saxophone

Michel Supera

Michel Supéra, saxophoniste, raconte. Son père, musicien amateur, lui donnait quelques pièces pour acheter des partitions. Sa mère, quant à elle, aimait chanter. Elle écoutait la radio et demandait au petit Michel de retrouver la mélodie pour jouer l’air à la maison. Quand l’enfance ouvre le chemin de toute une vie professionnelle et invite le petit garçon, devenu musicien, à naviguer dans tous les répertoires.


Michel Supéra, du Conservatoire de Paris au milieu du jazz

Quand j’étais gamin, on allait avec mon père dans les magasins de musique. Il me donnait cinq francs et me disait : Tiens, regarde les musiques qui te plaisent. J’allais farfouiller dans les bacs…Je trouvais des choses que j’avais entendu à la radio et je me disais : Je vais prendre ça ! Cela plaira peut-être à maman.

Michel Supéra, juin 2019

Issu de la Grande Maison mais…

La formation de Michel Supéra a été classique. Bien sûr, il y a eu le conservatoire régional puis la Grande Maison comme il l’appelle. Très vite, ce musicien qui aime comprendre, comme il le répète si souvent, a été attiré par tous les répertoires disponibles pour le saxophone. Ce qui induit aussi celui du jazz.

« Je venais d’obtenir mon prix de Paris et je me suis retrouvé dans un orchestre de jazz pour un « cacheton ». L’orchestre était constitué de passionnés et principalement de grands amateurs. Un jour, en répétition, le chef me dit de prendre le chorus. Moi, fraîchement sorti de mon parcours académique, j’ai bredouillé n’avoir pas travaillé la chose. Il n’a pas insisté mais de mon côté, j’ai été interpellé. On sort du conservatoire en connaissant énormément de choses et finalement, par rapport à ce répertoire du jazz, j’étais assez démuni. A partir de ce moment, j’ai pris des cours particuliers. Et avec quel professeur ! Une heure de cours et trois heures à refaire le monde. La liberté du jazz était là aussi. »

A la recherche des vertus de l’improvisation

Michel Supéra est saxophoniste de formation « classique ». Pourquoi donc le jazz ? « J’ai abordé le jazz pour acquérir ce qui me manquait à la fin de mes études au conservatoire, c’est-à-dire l’improvisation. Quand j’ai pu aborder cet univers, je me suis ensuite retrouvé dans des situations où le musicien n’est presque plus en maîtrise. C’était inédit pour un musicien issu du conservatoire. » Une découverte que Michel, toujours curieux, met encore aujourd’hui à profit dans ses projets successifs.

L’adjectif « curieux » étant celui qui correspond le mieux à notre musicien, continuons d’explorer en sa compagnie les temps premiers de la naissance de cet instrument et du répertoire qui nait alors.

Michel Supéra et Monsieur Sax : la curiosité en commun

Michel Supéra a donc grandi, saxophone à la main. Curieux de nature, il fait sien tous les répertoires, avec une attirance particulière pour le répertoire français. Comme tout instrumentiste en symbiose forte avec son instrument, il en connait l’histoire et les histoires. Quelle est celle qui le touche le plus ? Celle d’Adolphe Sax en premier lieu.

« Quand on commence un instrument, on ne s’intéresse pas forcément à son inventeur. Mais avec le temps, on essaie de comprendre. Adolphe Sax était un homme engagé et curieux de tout. Il n’a pas travaillé seulement sur l’instrument ! Il a fait des recherches sur la santé, l’acoustique des salles et a même construit un projet de salle en forme d’oeuf pour travailler sur la réverbération du son.Personnellement, je suis quelqu’un de plus rangé (Michel rit) mais ce qui me passionne chez ce monsieur, c’est son engagement, ses recherches et sa curiosité. »


Saxophone

Nous continuons notre conversation. « Le saxophone a été entendu pour la première fois en public en 1844 dans une oeuvre d’Hector Berlioz.Mais Berlioz avait inclus dans cette pièce « Hymne sacré » une toute petite partie de saxophone. Là cela m’interpelle. Pourquoi ? Berlioz et Sax étaient amis pourtant. Et puis pourquoi Berlioz n’a-t-il jamais écrit une pièce incluant une grande partie de saxophone ? »


Michel Supéra continue et évoque à nouveau l’inventeur prolifique Adolphe Sax. Les compositeurs avaient parfois des désirs. A lui de s’en amuser. « Oui, Richard Wagner a demandé à Adolphe Sax de créer un instrument ayant une sonorité entre le Cor français et le Saxhorn. C’est chose faite en 1876. Le tuba Wagnerien nait. Son nom est un hommage au compositeur mais ce qu’il faut retenir, c’est cette collaboration étroite entre un grand compositeur et un inventeur tout aussi grand. »

Vers l’élaboration d’un répertoire du saxophone

Les commandes de l’américaine Elise Hall

Une dame américaine a beaucoup contribué à l’élaboration d’un répertoire du saxophone soliste. Elle s’appelait Elise Hall et était violoniste et pianiste. Victime d’une maladie des oreilles, son mari médecin lui conseille de pratiquer un instrument à vent. La voici prise de passion pour le saxophone. Elle commande alors de nombreuses oeuvres à André Caplet, Claude Debussy, Florent Schmitt et d’autres.

« Elise Hall avait des moyens financiers importants et elle les a mis au service du répertoire du saxophone. Mais ce qui est très drôle encore c’est cette anecdote… Elle avait commandé à Debussy une rhapsodie. « Rhapsodie Mauresque » n’a jamais été terminée par Debussy. Elise Hall le relançait constamment et Debussy lui aurait répondu un jour : « Cette bête à anche que je ne connais pas » en parlant du saxophone. «  En fait, Debussy ne connaissait pas bien ce nouvel instrument mais grâce à la commanditaire américaine, de nombreuses pièces françaises sont venues étoffer le répertoire de l’instrument.

Le travail de transcription initié par Marcel Mule

Passionnante époque de création. Depuis l’invention du saxophone à la création du répertoire en passant par son enseignement, les personnages ne manquent pas et encore moins les histoires. Si on ne peut toutes les rapporter ici, évoquons tout de même celle de Marcel Mule, violoniste de formation et professeur en charge de la classe de saxophone au conservatoire de Paris. « A cette époque, le répertoire était assez mince. Ce monsieur s’est donc beaucoup engagé dans la transcription. On peut peut-être critiquer certains choix mais grâce à lui, tout un répertoire est né même s’il a besoin d’être retravaillé parfois« .

Marcel Mule était en effet un brillant musicien qui a aussi eu parfois l’audace d’imaginer pour l’instrument d’autres pratiques. « Oui, Marcel Mule jouait également dans des orchestres de variété, de music hall et de jazz. C’est en jouant dans ces formations qu’il prend conscience de la place du vibrato et qu’il l’intègre dans sa façon de jouer. On rapporte une petite histoire selon laquelle, un jour, alors qu’il jouait de façon « très droite », le chef lui fait reprendre le passage en lui reprochant de ne pas vibrer. Mule a dû donner du vibrato alors qu’il ne l’utilisait pas en classique. Suite à cette demande, il a intégré le vibrato dans son jeu et désormais le vibrato est devenu une habitude expressive que nous utilisons encore maintenant. »

Michel Supéra, au gré de toutes les influences

Michel Supéra

Si nous avons pris le temps d’évoquer ces quelques histoires avec Michel Supéra, c’est qu’elles révèlent l’une des grandes qualités de ce musicien. Ouvert et curieux, il parle de tout de façon égale et posée. « Quand on s’inscrit volontairement dans des contextes musicaux différents, on s’enrichit humainement et musicalement. Ma démarche c’est celle du plaisir. Si j’étais figé ou fermé, il y a des rencontres que je n’aurais pas pu faire. »

Avec l’ensemble féminin Mora Vocis

A propos de rencontres, Michel raconte celle faite il y a quelques années, avec un ensemble vocal féminin, Mora Vocis. Plus tard, ils se sont retrouvés de façon très naturelle. « Berlioz et Sax voulaient quelque chose qui se rapproche de la voix humaine. Effectivement, le saxophone peut facilement se lier, se fondre avec la voix. Avec Mora Vocis, nous avons donc travaillé par exemple une création pour trois voix de femmes et saxophone. Nous nous retrouverons le 29 octobre prochain à Clermont Ferrand dans le cadre du Festival Musiques Démesurées avec une nouvelle création. »

Avec l’accordéoniste Eric Comère

Michel Supéra et Eric Comère

Une autre rencontre importante ? Celle de l’accordéoniste Eric Comère, il y a huit ans, un soir de concert. Ensemble, ils ont réalisé l’enregistrement de leur disque Vents d’est… En ouest, un disque paru en 2015. Et bientôt, à l’automne 2019, viendra un nouvel enregistrement des deux amis.


Le futur disque s’intitulera Impressions françaises : « Je voulais travailler sur le répertoire français du saxophone mais aussi opérer, en quelque sorte, un rapprochement entre nos instruments qui sont des instruments populaires et ce répertoire dit « classique ». Le disque proposera des oeuvres adaptables au saxophone et à l’accordéon. Bizet (Scènes d’enfants), Debussy, Satie et des chansons françaises dont nous avons fait des pièces concertantes. « Oui, par exemple, la Valse « Sous le ciel de Paris » est jouée en 5/8. Cela nous amuse et j’ai constaté que cela amuse aussi le public. »

Quant aux lecteurs de Gang Flow, ils accompagneront Michel Supéra et Eric Comère dans l’aventure de ce nouvel enregistrement. Une histoire à venir à la rentrée.

Vents d’est…. En ouest (extraits)


Consultez ici le site internet de Michel Supéra

Lisez ici notre retour sur l’un des concerts de Michel Supéra et ses amis

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