
Francesco Lotoro est italien. Musicien, musicologue, chercheur ? Passionné et habité. Depuis plus de vingt ans, il recherche, compile et archive la musique écrite dans les camps de concentration entre 1943 et 1953. Une vie passée à faire renaître d’un passé douloureux des pans entiers et méconnus de l’histoire de la musique du 20e siècle. Si bien qu’il est convaincu qu’il faudrait réécrire toute l’histoire de la musique du vingtième siècle.
En réalité, on devrait réécrire toute l’histoire de la musique du vingtième siècle, et ça c’est une obsession !
Francesco Lotoro, Bari, Août 2019
Nous avons rencontré Francesco Lotoro dans le sud de l’Italie, à Bari et nous avons choisi de vous laisser l’entendre s’exprimer en italien. Une manière de le rencontrer et de le laisser vous parler. Sa passion est là, au coin de chacune de ses phrases. Une traduction vous est proposée ensuite.
Qui est Francesco Lotoro ?
Notre première question était simple. Qui est Francesco Lotoro ? Un musicien, un musicologue, un pianiste, un professeur ou « le maestro » ?
On devient un peu beaucoup de choses…

« Je ne suis qu’un pianiste. Mon seul titre c’est celui de pianiste. Le reste m’a été donné parce que j’étudiais la question de la production musicale dans les camps de concentration entre 1943 et 1953. Alors forcément, on devient un peu musicologue, un peu chercheur, un peu archéologue, un peu beaucoup de choses. »

Il faut aussi développer des techniques de recherche, ce qui n’est pas évident. Ce n’est pas comme pour Pompéi. On sait bien où se trouve Pompéi !!! En revanche, on ne sait pas où est la musique. On sait où sont les musées, les centres de documentation, les mémoriaux, les bibliothèques mais pas la musique. Alors, par exemple, on chine chez les bouquinistes à Paris, Berlin, Buenos Aires, San Paolo et on trouve aussi beaucoup de choses sur internet. Les personnes… Après soixante-dix ans, beaucoup d’entre elles sont décédées. Parfois les enfants habitaient à telle adresse jusqu’à il y a dix ans, puis ont déménagé, et ma recherche doit recommencer ! Je reprends tout à zéro. Sans parler des divorces. On se rend chez untel, mais il a pu laisser ses affaires chez sa soeur… voilà comment on devient archéologue de la musique.
Ramat Gan – Bar Ilan University : Analyse de manuscrits du compositeur Arie Ben Erez Abrahamson avec sa fille Hannah Abrahamson.
Des supports et du matériel musical très diverses
Transmission écrite ou orale de la musique
Je travaille pour récupérer du matériel qui est à 80% du papier, et parfois aussi des supports phonographiques. Et tout n’est pas sur papier. Cette musique a été créée dans les camps de concentration mais pas forcément écrite. Prenons l’exemple des Sinté et des Roms. Leur musique n’a pas été écrite mais créée puis transmise aux enfants et aux petits-enfants. Alors pour récupérer cette musique, tu ne peux pas rester chez toi ! Il faut aller en Ukraine, en Serbie, en Croatie, en République Tchèque, en République Slovaque, en Autriche… Alors bien sûr, beaucoup de musicologues ont fait cette recherche, mais il y a encore beaucoup de choses à récupérer.
Plus les années passent, plus le matériel se contamine. En effet, la notion de mémoire chez certains groupes sociaux, d’un point de vue philologique, n’est pas identique à la nôtre. Dans notre culture, il est très important de transmettre le matériel comme nous l’avons reçu, mais pour d’autres cultures on ajoute du matériel. La mémoire est donc une idée un peu plus flexible.

Un scénario qui n’est absolument pas conventionnel
Il y a la musique qui a été écrite dans le camp de concentration… puis le musicien, après la guerre, a perdu le papier. Dans certains cas, il a réécrit la musique mais nous ne saurons jamais si cette musique est fidèle à l’idée originale. On doit l’accepter.
On trouve de la musique légère, de la musique proche du swing, du jazz, du country. Il y a de la musique religieuse, de la musique de cabaret dont nous avons la mélodie et dont tout le reste doit être reconstruit. Vous le voyez, nous sommes devant un scénario qui n’est absolument pas conventionnel. On a des manuscrits et tout autour, un archipel de choses qui font partie intégrante de ce genre qu’est la musique concentrationnaire.
Une recherche obsessionnelle ?
Notre seconde question à Francesco Lotoro était volontairement tendancieuse. Sa recherche relève-t-elle d’une sorte d’obsession ? Il est vrai que depuis plus de vingt ans, il a recouvré des milliers de partitions.
Cela devient une obsession si tu décides de t’y plonger en totalité. Il ne s’agit pas pour moi de mener une recherche anthologique et de choisir les meilleurs morceaux. Certains font cela. Mais pour ma part, je mène une recherche viscérale et complète. De la plus petite mélodie aux grandes productions symphoniques ou théâtrales qui ont été mises en scène dans les camps. Le seul fait de chercher transforme ma quête en obsession.
Choisir la période de recherche
Cela devient une obsession si, en plus, on se limite à une période. J’ai commencé à faire mes recherches sur la musique écrite pendant la seconde guerre mondiale, de 39 à 45, et après tout cela ne faisait que six ans. Ensuite, j’ai pensé que cette recherche de la musique écrite dans les camps ne pouvait pas être uniquement liée à la période de la guerre. En effet, la seconde guerre mondiale a été l’aboutissement, le point le plus dramatique d’une crise mondiale qui a commencé bien avant. Il fallait donc partir, à tout le moins, de 1933 à la date de la prise du pouvoir par le parti national socialiste en Allemagne. Le premier camp ouvre à Dachau en mars 1933. Ensuite, de nombreux camps de travaux forcés ont été ouverts dans le nord de l’Allemagne, à Buchenwald, à Sachsenhausen. Cela rajoutait six ans à ma recherche.
A quelle date situer la fin de la guerre ?
Continuons…. 1945, c’est la fin de la guerre, au sens militaire du terme. C’est la fin des canons et des fusils mais ce n’est pas la fin de la guerre au sens géo-politique du terme. Donc, la guerre se termine le 2 septembre 1945 avec l’armistice entre le Japon et les Etats-Unis. Vous voyez, par rapport au mois de mai, on a déjà 4 mois de plus. Ce n’est en effet qu’à ce moment-là qu’on libère progressivement les militaires des camps.
Et encore ! On sait très bien que la guerre n’est pas terminée. Il y a des exodes de populations entières chassées de leurs territoires. L’Ukraine empiète au nord, la Pologne se dessine sur le territoire de l’ancienne Allemagne orientale. De nouvelles nations naissent. Les frontières de l’Italie changent, l’Europe orientale est complètement redessinée. Tout cela provoque l’ouverture d’autres camps de concentration, ouverts par l’Union Soviétique et les Pays à régime socialiste. Sans parler des scénarios imprévus : des personnes sorties des camps de concentration sont enfermées, quelques années plus tard, dans les goulags, soupçonnées d’espionnage. Donc la guerre ne se termine pas en 1945. Pour moi, la guerre se termine en 1953 avec la mort de Staline. Ensuite, des personnes sortent du goulag en 1958. Je suis en train de m’y intéresser.


(Photo à gauche : Jozef Kropinski, compositeur polonais déporté à Auschwitz puis à Buchenwald. Photo à droite : A Nuremberg, Francesco Lotoro et le fils de Jozef, Waldemar Kropinski.)
On devrait étudier la musique concentrationnaire écrite entre 1919 et 1958
Le phénomène de cette musique écrite dans les camps de concentration est d’une ampleur extrême. La guerre en est un moment clé, c’est l’un des moments les catastrophiques de l’histoire, mais ce n’est que l’un des moments de ce phénomène.
Si on voulait travailler de manière philologique, on devrait partir de 1919 pour terminer en 1958. Quarante ans donc. Alors, cela devient une obsession. C’est quelque chose qui te mange tout ton temps, qui te dévore toutes tes ressources. Cela devient quelque chose qui n’est plus une recherche mais une mission avec une tâche que personne ne t’a dit de faire mais que tu t’es imposée pour la vie.
8000 partitions récupérées à ce jour

A ce jour, j’ai récupéré 8000 partitions. Mais il y a encore 10 000 documents à décrypter. De vidéocassettes, des cassettes audio, des disques 33 tours, des 45 tours, des 78 tours, des disques Pyral qu’on utilisait en France, des microfilms. Tout cela nous donnera encore des milliers de partitions. (Ci-contre : partition de Jozef Kropinski écrite à Buchenwald).
A ce jour, j’ai aussi à peu près 7000 biographies. Mais d’après mes calculs, en ne considérant que les compositeurs, les arrangeurs, les band leaders, (c’est-à-dire en laissant de côté les instrumentistes et les chanteurs), nous devrions nous pencher sur le sort de 160 000 personnes. Je pourrais me tromper de 500 noms… Nous sommes devant un phénomène complètement « réaligner ». Ces musiciens ne sont pas apparus tout d’un coup. Ils ont fait la guerre, on été déportés pour des questions de politique, de race, d’homosexualité. Par conséquent il s’agit là d’une musique qui doit rentrer dans le panorama musical du vingtième siècle. En réalité, on devrait réécrire toute l’histoire de la musique du vingtième siècle, et ça c’est une obsession.

Une encyclopédie prévue pour 2024
A entendre Francesco Lotoro évoquer tous ces musiciens, on ne peut s’empêcher de lui demander s’il peut encore dormir. S’il se sent habité par eux tous.
On ne peut, en effet, faire cette recherche en se réveillant le matin à huit heures. Ces recherches prennent tout. Elles sont merveilleuses mais elles accaparent tout ton esprit. Au fil du temps, tu t’aperçois que le plus important est que ta recherche ait une « maison » dans ton cerveau avant toute autre chose. Tu ne peux en effet voyager avec l’ordinateur et vérifier si tout correspond. Les connexions entre les camps de concentration, les villes d’origine des musiciens, les villes où ils ont émigré, les enfants, les petits-enfants, les centres de documentation qui disposent du matériel… Tout cela doit être dans ta tête. L’ordinateur peut t’aider, mais ce n’est qu’une aide. Tout cela a besoin de temps, et bien au-delà de 24 heures.
Un travail d’équipe désormais
Aujourd’hui, je ne suis plus seul dans ce travail. Une fondation a été créée, avec un secrétaire, des collaborateurs, un archiviste, un administrateur délégué. On peut aussi parler du projet « 100 voyages » créé par Donatella Altieri, la productrice du film Le Maestro. Elle est à la recherche de financements pour compléter ces cent voyages. Mais la recherche, c’est encore moi qui la fait car j’ai les connaissances et les noms en tête.
J’écris vraiment beaucoup. Je suis en train d’écrire une Encyclopédie qui sortira en 2024 : « Thesaurus Musicae Concentrationariae ». En écrivant, je me rends compte que je n’ai encore écrit que 10%. D’habitude c’est le contraire : tu écris 90% des choses et le reste tu le gardes en tête.
J’étudie aussi….Cette encyclopédie contiendra des partitions. Des oeuvres pour piano, pour piano et violon, pour piano et orchestre. Pendant la journée, je passe de l’ordinateur au piano et vice-versa. Tout le temps. Et sinon, je voyage et ces voyages ne se font pas en trois jours. Plutôt une semaine à chaque fois. Je me rends à Paris tous les mois car il y a là beaucoup de choses entre Paris, Poitiers, Nancy, Cannes. C’est incessant, car des « filons » s’ouvrent et il faut alors retourner.
Avec tout cela, on dort peu. Mais cela ne veut pas dire qu’on doit avoir le cerveau confus. Il faut avoir l’esprit lucide dès cinq heures du matin. Chaque jour, je dois connaître le programme et ce qu’il y a à faire. Si ce n’était que cela, cela serait lourd mais on pourrait le gérer.

Cette musique doit respirer
Depuis trois ans, malheureusement…. Non ! Heureusement, le projet de la Citadelle de la Musique Concentrationnaire me prend beaucoup de temps et d’énergie. C’était le point d’aboutissement de cette recherche car nous souhaitions donner une maison à cette musique. Mais ce n’est pas un musée ou un centre d’archive car la musique doit y respirer, doit être appréciée par le jeune de quinze ans ou le grand musicologue ou philologue de soixante-dix ans. Il fallait donc créer une structure où cette musique aurait pu avoir une bibliothèque, un musée où exposer les manuscrits, les instruments, le matériel pas forcément musical mais qui peut aider à comprendre le phénomène, un campus universitaire, une librairie, des salles de recherche, des salles d’étude. Le projet de la Citadelle est né il y a trois ans, et si j’avais alors encore un peu de temps, c’est finalement la Citadelle qui a finit par tout prendre.
Voilà. Aucune confusion en moi. Je vois clairement les lignes. Celle de la recherche, de la création du Thesaurus, de l’édification de la Citadelle, mais tout cela doit cohabiter dans un espace-temps de vingt-quatre heures. Et ça, c’est le grand problème !
Francesco Lotoro et la Citadelle de la Musique Concentrationnaire
La Citadelle de la Musique Concentrationnaire est un projet qui est né il y a quelques années. Je cherchais un siège à l’époque. Trois cent ou quatre cent mètres carrés me semblaient suffisants pour archiver tout ce que j’avais recueilli. Très vite, on a compris que cela ne serait pas suffisant parce que finalement, on aurait créé un centre d’archives pour une musique que personne ne joue. Je me rends en effet dans toutes les bibliothèques et les centres de documentation où on peut trouver cette musique des camps. Personne n’y joue !
Il faut jouer cette musique
Alors que l’archéologie n’est que le premier pas vers cette musique. Il y a ensuite la musicologie, la philologie. Car cette musique, elle ne nous parvient pas complète et le but ultime c’est de la jouer. Un tableau n’est pas fait pour rester dans des entrepôts mais pour être regardé. C’est pareil pour la musique. On la crée pour qu’elle soit jouée. Bien sûr, pour qu’elle soit archivée et analysée aussi, mais surtout pour être jouée. Parvenir à jouer déjà une dizaine de ces musiques serait une satisfaction mais c’est sans parler des dix mille qu’on pourrait jouer. Nous sommes face à un phénomène dont on ne soupçonnait pas l’ampleur.
Le projet de façon concrète à Barletta
Concrètement… Il y a quatre ans, le gouvernement italien a fait un appel à projets pour la reconversion des périphéries urbaines, ces zones qui étaient de vraies périphéries dans le passé et qui maintenant sont des quartiers dégradés avec de vieilles usines. Une somme d’argent a été mise à disposition de la ville de Barletta avec l’objectif de mettre à ma disposition un espace. Celui-ci se trouve près de la distillerie. 10 000 mètres carrés, et c’est vraiment plus que ce que j’imaginais puisque cela m’a donné la possibilité de créer une bibliothèque, un théâtre, un musée, un campus, un restaurant, un café, une réception, une librairie. Bref, une vraie citadelle !
Un seul fou n’y suffisait pas
Il m’a fallu travailler de façon très sérieuse avec des gens qui partageaient ma folie. Ici, un seul fou n’y suffisait pas. Il faut aussi un architecte qui commence à travailler sans être payé le jour d’après. On a besoin d’ingénieurs, de techniciens du bois, du fer qui savent qu’ils seront payés, mais pas maintenant.
Quand le projet a été présenté à la Présidence du Conseil des Ministres, il est arrivé douzième. Avant Milan, avant Turin et avant d’autres grandes villes. Il est certain qu’il est financé car les vingt-quatre premiers projets sont financés de suite. Mais cinq millions n’étaient pas suffisants car au total, c’est un projet qui nécessite vingt à vingt-deux millions d’euros. Nous avons donc dû travailler pour trouver le complément et nous avons presque réuni la totalité de la somme nécessaire.
Le chantier commencera au mois de janvier 2020 pour la construction du campus. Suivront ensuite les chantiers de la bibliothèque et du musée. On commence à voir les grues !!!! Nous continuons cependant à solliciter des financements et des donations. Nous sollicitons des institutions, juives ou pas, à acheter une brique, à dédier l’un des pavillons, l’une des structures. Ces initiatives pourront nous aider à clôturer le budget. Mais nous sommes tout de même déjà en situation de construire l’un des cinq lots. On démarre en janvier…
Sur quelle partition Francesco Lotoro travaille-t-il actuellement ?
Nous avons demandé à Francesco Lotoro, en guise de dernière question, de nous parler de la partition sur laquelle il est en train de travailler. Sa réponse va au-delà, bien au-delà…
La France est le pays qui m’a le plus aidé.
Francesco Lotoro, Août 2019, Bari.
Les 600 partitions du Thesaurus
En ce moment, j’étudie toutes les partitions qui seront publiées dans le Thésaurus. On y trouvera 600 partitions, donc rien à voir avec les 8000 ou 9000 partitions, mais cela sera déjà une grande anthologie. Grâce à dieu, les propriétaires de ces oeuvres ont donné leur permission, ainsi que les maisons d’édition qui les avaient déjà publiées.
C’est la France qui m’a le plus aidé. Jean Martin et d’autres ont fait l’histoire de la littérature musicale du vingtième siècle. Ces musiciens ont été détenus dans des camps militaires et la France, par rapport à d’autres pays, a toujours fait un pas en avant. Le film Maestro est né en France et le livre a été écrit par un journaliste français. Il y avait aussi l’idée de faire naître le projet de la Citadelle en France mais on a laissé tomber. A présent, j’étudie donc les partitions pour le Thesaurus.

Les 100 voyages
Je travaille aussi mon projet des cent voyages. Pourquoi cent ? En réalité, cela sera beaucoup plus, mais tout est parti d’une discussion pendant un séjour à Washington lors d’une visite au musée de l’holocauste. Le directeur voulait savoir de combien de voyages j’aurais besoin pour compléter mon projet. Je lui ai répondu mille et il m’a alors demandé d’être plus raisonnable. J’ai répondu cent et c’est comme cela que ce projet a démarré grâce à lui.
Dans la réalité, j’ai déjà fais la moitié de ces cent voyages, et presque tous à mes frais. Ou plutôt : je fais des concerts et ce que je gagne, je le remets dans le projet. J’estime avoir besoin de faire 400 voyages, mais quand je me déplace, je ne fais pas qu’un seul voyage. Je vais à Paris, Prague, Berlin.. Cela fait donc plusieurs voyages. Cela me prend dix jours et puis je rentre. Il y a une sorte de programme mais des priorités surgissent quand une personne n’est pas en bonne santé et qu’elle détient encore du matériel. Je laisse alors tout en plan car la vie de ceux qui ont été en camps de concentration a la priorité.
Ils sont en train de partir tous
Ils sont en train de partir tous. C’est la vie. Aujourd’hui, ceux qui sont encore en vie avaient l’âge de treize ans dans les camps. Ils n’étaient pas musiciens mais ils ont entendu les originaux. Il faut prendre soin d’eux. Quand ils auront disparu, on passera à la génération des enfants et des petits-enfants.
Par exemple, j’avais prévu un voyage à Berlin, Paris, Londres. J’ai dû tout changer pour aller à Klangerfurt, Berlin et Riga car là-bas, j’ai découvert des choses qui ne peuvent pas attendre. Mes plans changent donc d’un mois à l’autre.
Les concerts
Je suis contraint de faire des concerts car ils me permettent de financer le reste. Si une institution finançait mes recherches, alors j’arrêterais les concerts. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Je vais jouer au Brésil, à Toronto le 6 novembre, à Tel Aviv le 28 novembre. L’année prochaine, cela sera aussi l’anniversaire de la libération d’Auschwitz et des autres camps. La Citadelle sera en chantier également.
Des compositeurs italiens à l’étude

En ce moment, j’étudie beaucoup le travail de certains compositeurs italiens internés dans les camps. Beaucoup de musiciens italiens ont été faits prisonniers après la défaite d’El Alamein, dans la Lybie italienne. On les a envoyés en Algérie française, en Tunisie française, à Gabes. Gabes… C’est un camp géré par la Légion Etrangère. Ces jours-ci, j’étudie les oeuvres de Berto Boccosi, un italien qui a tenu son journal en prison. « Le soir dans l’oasis de Gabes » est un petit poème pour piano, très difficile. (Photo ci contre : une page de Pietro Feletti).
J’écris, j’écris, j’écris..
J’écris, j’écris, j’écris… Je prends part à toutes les réunions de la Citadelle, même s’il s’agit de réunions techniques, car à la fin, c’est moi qui prends la décision. Par exemple, on prévoit un amphithéâtre pour 90 personnes, mais j’ai demandé à l’architecte de le concevoir pour 150. L’architecte pense à une mezzanine… Je dois donc être présent même sur des sujets qui n’ont pas trait à la musique. Tout cela est plutôt long. On calcule, on change.. Je dois donc être présent et à certains moments, la grande partie de ma journée est remplie de cela.
Notre entretien se termine. Exactement comme il avait commencé. L’esprit de Francesco Lotoro foisonne. C’est à lui, et à d’autres, que nous devons la justesse et la précision toujours plus grande de nos connaissances. Même si vous ne comprenez pas l’italien, prenez le temps de l’écouter quelques minutes. Sa passion est tellement perceptible…
Encore un grand merci à la France qui, avec l’Italie, a été le pays qui m’a soutenu le plus et qui me donne le courage. J’ai eu comme maître, l’un des plus grands français de l’histoire de la musique Aldo Ciccolini. Et je tiens à le rappeler. Encore merci.
Francesco Lotoro
Pour en savoir davantage sur la Citadelle de la musique concentrationnaire, cliquez sur ce lien : http://www.fondazioneilmc.it/it/
D’autres extraits à écouter accompagnés de leurs partitions

KAREL, Nonet (Sur papier toilette).
Pour aller plus loin
De nombreux reportages sont consacrés à Francesco Lotoro et son travail. En 2019, une équipe de CBS est venue à sa rencontre. D’autres, comme Alexandre Valenti, ont produit des documentaires : Extrait du Maestro…
Un peu de lecture

Ce livre de Thomas Saintourens est à lire absolument. Publié chez Stock, il évoque le parcours de quelques uns des musiciens sur lesquels Francesco Lotoro travaille.
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