
Dix années d’existence. Le Trio Karénine, fondé en 2009, ne pouvait choisir répertoire plus idoine pour fêter sa belle décennie d’existence. Dvorak, entouré de Chostakovitch et Weinberg … Ou la pièce angulaire du répertoire du trio, témoin d’une Europe de l’Est brillante qui n’en finira pas de sombrer plus tard dans des heures noires. Des heures noires portées à la musique par Chostakovitch et Weinberg dont le Trio Karénine propose ici une interprétation distinguée. Le tout chez Mirare et disponible depuis le 11 octobre 2019.
Un disque des émotions complexes
Le Trio Karénine réussit un bel enregistrement. Mieux, il porte au public et au disque des oeuvres dont on dirait communément qu’elles sont l’âme slave. Nous préférerons parler du talent de ces artistes à jouer, interpréter et vivre des oeuvres emblématiques de ce que l’émotion complexe est en musique.
Le Trio « Dumky » est aux origines de ce travail au coeur des émotions telles que transcrites par les compositeurs slaves. Mélancolie et gaieté s’y côtoient. Se confrontent presque, rappelant ainsi la personnalité enflammée et rêveuse de Dvorak. Un compositeur que les trois artistes du Trio servent avec une infinie justesse.
Cette oeuvre emblématique de la musique de chambre de Dvorak est entourée de Chostakovitch et Weinberg. Chostakovitch et Weinberg, les deux amis que la musique mais aussi la répression politique et religieuse en Union Soviétique a soudé. Chez eux, le mot émotion devient euphémisme. Là encore, Paloma Kouider (piano), Fanny Robilliard (violon) et Louis Rodde (violoncelle) excellent. Du Trio n°1 op.8 de Chostakovitch, on retient leur talent à transcrire la tension dramatique d’une pièce enserrée entre un lyrisme post-romantique et les accents douloureux de thèmes obsessionnels. Du Trio op.24 de Weinberg, on applaudit chaque note, chaque complainte du violon, chaque murmure de douleur du violoncelle et chaque présence sourde et lancinante du piano.
Des musiciens conscients
2019. L’Europe hésite et les individualités perdent parfois le lien qui les rattache à l’histoire douloureuse du vingtième siècle. Ne suffit-il pas de lire, d’écouter, de se remémorer pour mieux avancer ? Ce disque Chostatovitch – Dvorak – Weinberg est donc bien mieux encore qu’un travail sur l’âme slave. Il appelle à vivre des oeuvres qui portent en elles le lot de souffrances incommensurables subies par les intellectuels et les artistes à l’Est…
On pense bien sûr au Trio op.24 de Weinberg. Achevé en 1945, il est douleur et tragique. Le compositeur vient de perdre l’ensemble de sa famille en Pologne et le lien entre sa vie personnelle et son oeuvre est évident. « Beaucoup de mes oeuvres sont liées à la guerre. Cela n’a pas été, hélas, le fruit d’un choix volontaire, ce fut dicté par mon destin, le tragique destin de ma famille« . Weinberg, cité ici par Charlotte Ginot-Slacik dans le livret du disque, donne la clé.
N’oublions pas que les artistes du Trio Karénine nous donnent une autre clé. Musiciens actuels, ils portent au disque et à la scène les questions du présent. Pas du passé mais du présent. En cela, ils fêtent avec nous dix ans d’existence et bien des années à venir. Car le rôle de l’artiste n’est pas seulement d’émouvoir. Il est aussi celui d’éveiller et de réveiller. Et cela, le Trio Karénine l’a fort bien compris.
Consultez ici le site internet du Trio Karénine
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