Beethoven par lui-même : lettres au charme du négligé génial

Beethoven par lui-même

Beethoven par lui-même. Un ouvrage de Nathalie Krafft publié aux éditions Buchet-Chastel.

Composé d’extraits de lettres du compositeur, ce livre est nourri des inestimables cahiers de conversation. La plume avertie, alerte et élégante qui guide le lecteur rend à l’artiste fait titan sa figure d’homme, lui qui s’avouait incapable de dire aux gens qu’il est sourd.


Ces lettres de Beethoven, savamment choisies et commentées par Nathalie Kraft « ont le charme du négligé génial ». C’est à Flaubert et à sa correspondance que Jean-Marie Rouart a adressé la formule. (In Ces amis qui enchantent la vie). A cet « écrivain déboutonné, sans façons, qui se délasse en confiance », qui s’exprime en une correspondance bien moins policée que tout ce qu’il destine à la publication, l’académicien rend hommage.

Ce qui est possible chez Flaubert l’est encore davantage (et mieux) chez Beethoven. L’acte épistolaire, chez le compositeur, n’est, en effet, sous-tendu par aucune intention littéraire. Privé, il fait vaciller tout ce qui, de jugement définitif en formule arrêtée, a figé le personnage « plutôt que de se résoudre à sa multiplicité et d’admettre son mystère. » (Nathalie Krafft, Avant-propos).

Beethoven par lui-même : Le négligé d’une correspondance privée

Le grand Beethoven écrit à sa famille, ses amis et relations, comme il vit. Dans les inconséquences et les contradictions permanentes. Il est celui qui laisse courir la fable. Il serait le fils naturel du roi de Prusse… Mais il reproche à Goethe de laisser passer en ville la famille royale. A Eleonore von Breuning, il commande un gilet tricoté en poils de lièvre pour rester à la mode. Mais, soucieux, et sur le ton de l’élève admirant le maître, il demande à Goethe si sa musique épouse parfaitement sa poésie.

A lire la correspondance de Beethoven ainsi mise en lumière par Nathalie Krafft, on monte les escaliers qui mènent à son appartement. On entend le pas du compositeur et on le découvre alors qu’il entrouve la porte. Quelques heures de lecture seulement. Sur le papier à lettres et sous la plume parfois rageuse, parfois joueuse, une vie construite autour de l’entrechoc constant entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Mais une vie écrite sur un coin de table pour remplir la fonction la plus élémentaire de l’acte épistolaire : communiquer des informations et échanger.

Le charme de l’homme néanmoins prodige

Beethoven par lui-même

Beethoven compose, Beethoven écrit. Des lettres, parfois simplement utilitaires, en tout cas toujours privées et jamais littéraires. Mais Beethoven est une plume dont on savoure, grâce à Nathalie Krafft et Sofiane Boussahel pour la traduction, le style et le sens du phrasé.


Beethoven a le sens de la formule. De la « clique des facteurs de claviers » à ce qu’il ne souhaite pas devenir, c’est-à-dire un « usurier de l’art », il joue avec les mots. Il joue aussi avec le sentiment et s’inspire des poètes comme Schiller : « un sang chaud est mon tort », écrit-il en 1793.

Quand il ne joue plus, la vérité simple et brûlante émeut le lecteur. « Je dois dire que je mène une vie misérable, depuis presque deux ans j’évite toutes les relations, parce qu’il ne m’est plus possible de dire aux gens que je suis sourd ». Les lignes de cette lettre du 29 juin 1801 à Franz Gerhard Wegeler sont aussi sobres de style que le niveau de son ouïe bas. La colère se crie et se tambourine, la résignation est un état de misère qui impose la retenue.

Et puis, voici encore quelques autres passages. Beethoven amoureux, mais éconduit, scande. Voici qu’il écrit comme il compose la musique. « Puisque j’ai presque à craindre que vous ne me laissiez plus vous trouver chez vous – et que je n’en puis plus de m’exposer aux refus de votre domestique – eh bien, je ne peux faire autrement que de ne plus venir chez vous – à moins que vous ne me fassiez connaître votre avis sur ce sujet – si cela tient vraiment à ceci – que vous ne voulez plus me voir – alors – faites usage de votre franchise – je la mérite certainement de votre part – lorsque je m’éloignai de vous, je crus le devoir, car il m’apparut (…) ».

Humain mais génie. Et pas génie mais humain. Voilà ce que parvient à donner de Beethoven cet admirable livre « Beethoven par lui-même » de Nathalie Krafft. L’auteur redonne ainsi au musicien « le plus statufié de l’histoire » la finesse et la subtilité de tous ses traits.

Editions Buchet Chastel

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