
Marina Chiche et Aurélien Pontier proposent au disque un Post-scriptum. Une déclaration d’amour aux violonistes virtuoses et légendaires dont Keifetz et Kreisler, sous la forme d’une conversation rieuse et séductrice avec le public contemporain autour du répertoire du bis. Le bis, cette petite « ligne » jouée à la fin du concert et qui en cristallise le souffle…
Marina Chiche, un violon au coeur
Marina Chiche met un point final au texte du livret ainsi : « P.S. : Mon coeur est un violon. » Ce Post-Scriptum au livret dans un disque intitulé Post-Scriptum appelle la question. « J’ai redécouvert cette chanson chantée par Lucienne Boyer il y a un peu moins d’un an. C’était donc avant que le projet de ce disque naisse. J’ai été saisie parce qu’il y a une séduction folle dans cette chanson avec des contrechants au violon qui sont sublimes et qui me touchent. Je me suis dit que c’était là le titre parfait d’une possible émission de radio parce que cela capture ce qu’on essaie parfois de mettre en mots et qui est très difficile à expliquer. La relation très intime que les violonistes peuvent parfois entretenir avec leur instrument. D’ailleurs, le violon est un instrument qui peut porter une charge émotionnelle très forte. »

« Mon coeur est un violon » est donc devenu le titre de l’émission que l’artiste a consacrée à Ginette Neveu sur France Musique. « Ginette Neveu a dédié sa vie entière au violon. Elle avait une manière de jouer si incarnée et si intense qu’effectivement, on avait envie de dire « Son coeur est un violon » car elle jouait complètement avec son coeur… ». C’est dans cette continuité non préméditée que le disque Post-Scriptum est né. Un disque qui se place dans un « sillon de filiation », selon l’expression de la violoniste.
La filiation, au coeur de ce disque
Post-Scriptum est le fils d’une longue lignée de disques. Il est surtout, pour la violoniste Marina Chiche, une sorte de clin d’oeil à ces moments de l’adolescence passés à écouter en boucle certains disques de « Encores » de Heifetz ou d’autres virtuoses comme Ivry Gitlis ou Itzhak Perlman. « Il y a plusieurs disques de « Encores » de Heifetz mais il y en a un particulier que j’affectionnais tout particulièrement. Vous savez, ce genre de disque qu’on a tellement écouté et dont on connait la pochette par coeur. Ce disque là, celui sur lequel Heifetz est caricaturé, est un disque RCA Victor. »
Marina Chiche aime « écouter ce genre de disque » en rappelant combien sa mère les adorait aussi. Et combien Post-Scriptum est un hommage à Heifetz et Kreisler en tant que virtuoses mais aussi en leur qualité d’arrangeurs. Reste enfin le lien indéfectible qu’elle a tissé avec le professeur qui lui fait découvrir le premier ces trésors. Au coeur de ce disque, la filiation. Restait à laisser les années faire leur oeuvre.
Une voix personnelle et singulière
Ce geste d’hommage aux virtuoses pose très justement la question de la filiation artistique. Marina Chiche nous répond. « La problématique est complexe. Il faut, à la fois, complètement accepter l’héritage (on ne peut se déclarer sans racines alors qu’on est le fruit d’une longue et riche filiation) et, aussi, être conscient qu’on ne peut pas être uniquement dans un geste d’imitation. »
Revenons au disque Post-Scriptum pour mieux comprendre. « J’ai été troublée par certaines pièces. Je pensais alors que Heifetz en avait fait une version ultime et qu’elle lui appartenait complètement. C’était très vrai des pièces qu’il avait transcrites lui-même par exemple. On pourrait penser alors qu’on peut difficilement proposer quelque chose de meilleur, ou de plus convaincant. Mais en retravaillant les pièces pour l’enregistrement, je me suis étonnée. Pas de trouver des choses nouvelles, pour répondre à un fantasme de l’innovation à tout prix, mais de me rendre compte à quel point le risque de l’imitation avait disparu. A un moment, on développe sa voix, singulière et personnelle. »
Marina continue. « Parfois, on écoute une grande version discographique et on se dit que c’est La Version. A force de l’écouter, on a le sentiment qu’on sait exactement ce que fait l’interprète. Par exemple, je connais exactement ce que fait Heifetz dans l’Introduction et Rondo Cappriccioso de Saint-Saëns dans les moindres détails. Avec le temps, j’ai réécouté des versions que je pensais avoir complètement gravées dans ma tête. J’ai été très étonnée de ne pas retrouver ce que j’avais construit mentalement. Avec les pièces présentées dans Post-Scriptum, c’est la même chose. Même en se disant que Heifetz avait fait la version ultime, et même en essayant de se rapprocher de ce charme et de cette manière de lire le texte, forcément c’est ma propre voix qu’on entend. »
Violon charmeur et piano complice
Les 18 miniatures qui composent le disque Post-Scriptum sont un hommage aux violonistes virtuoses qui ont enchanté la jeunesse de Marina Chiche. Elles n’en restent pas moins des oeuvres pour violon et piano. A notre question sur la place du piano, Aurélien Pontier apporte de précieux éclairages.
« Tout d’abord, Heifetz et Kreisler étaient d’excellents pianistes. Ils n’étaient certes pas des virtuoses car ils étaient trop accaparés par leur carrière et leur instrument principal et ils composaient au piano car c’est l’instrument de l’harmonie. Dans ces miniatures, le violoniste chante, séduit ou amuse le public. La place du pianiste est très particulière parce que ce sont des harmonies très sophistiquées qu’il faut discrètement faire sentir au public, malgré tout. Mais il ne faut pas inverser les rôles évidemment car c’est le ou la violoniste qui s’exprime et qui est un peu la « prima donna » dans ce type de répertoire. »
Dans ce disque, le violon et le piano conversent. Une idée toute musicale de la conversation qu’Aurélien Pontier explicite. « Parfois, il faut laisser parler l’autre, voire même le laisser faire une digression. Parfois, c’est une question de courtoisie et il faut trouver la juste place et ne pas être trop discret non plus. En travaillant sur ce projet, j’ai réécouté beaucoup d’enregistrements. Je dois avouer ma frustration quand on a affaire à un violoniste extraordinaire accompagné par un pianiste totalement absent. L’absence du pianiste ne rend pas service au violoniste. »
Post-Scriptum : comme une théorie discographique du Bis

Marina Chiche et Aurélien Pontier ont souvent joué ensemble. Aurélien Pontier évoque ces moments aux origines du disque Post-Scriptum. « Au fil des concerts, nous avons développé un répertoire de sonates mais aussi un répertoire de Bis. Le Bis c’est un moment très particulier, empreint de lâcher-prise. A force, nous avons développé une sorte de théorie du Bis. Nous considérons qu’il en faut deux ou trois. Si possible un qui soit assez enthousiaste, un autre bouleversant et enfin le dernier qui réunirait les deux. Marina a alors eu l’idée de consacrer un disque aux Bis et nous avons retrouvé avec le plus grand plaisir les pièces de Kreisler et de bien d’autres. Notre boîte à bijoux en somme. »
Les pièces qui les touchent plus particulièrement…
« J’ai adoré enregistrer la pièce Syncopation de Kreisler. Il y a tout dedans : du charme et quelque chose d’un peu malin grâce à la syncope. Une syncope, sur le plan rythmique, c’est une note qui est intercalée entre deux temps forts et on a l’impression qu’il nous asticote avec ce rythme. Aujourd’hui, on parlerait de teasing. Syncopation est une des pièces que nous avons enregistrées d’un seul tenant parce qu’ici, soit on a l’inspiration, soit on ne l’a pas du tout. Ce n’est pas du tout le genre de pièce qu’on monte mesure par mesure. D’ailleurs c’est mon approche de l’enregistrement. J’essaie, en effet, de privilégier les prises très longues, voire les prises uniques. Je trouve qu’il faut, en enregistrement, essayer de retrouver le souffle du concert. » (Aurélien Pontier)
« Je me souviens notamment de trois ou quatre pièces, notamment le Garden Scene de Korngold. Quand le numéro arrivait dans le disque, cela me réchauffait le coeur tout de suite. Etonnement, je ne l’avais encore jamais jouée. Mais j’en avais parlé dans une de mes newsletters, et j’avais inséré le lien vers un extrait. Une amie proche m’avait alors dit à quel point elle adorait cette pièce. Au cours de notre conversation, je me suis rendue compte que je n’avais même jamais pensé que moi aussi j’avais le droit de la jouer. Je considérais que cela appartenait à Heifetz. En le jouant, j’ai compris alors qu’il s’était passé quelque chose. Je n’étais plus dans une obsession adolescente. J’avais le droit de jouer ces pièces et c’était désormais à moi qu’il revenait de les prononcer. » (Marina Chiche).
Des pièces qui rapprochent le public et les artistes

Les miniatures de Post-Scriptum, le public de l’époque les attendait fébrilement et venait parfois à dessein pour les entendre. Elle apparaissent désormais aussi comme un moyen d’engager la conversation avec le public contemporain et d’écorner quelques idées fausses.
Aurélien Pontier raconte aimer comment, en récital, certaines personnes répondent au musicien qui les interpelle. Moment de détente que le Bis. Précieux moment en ce qu’il autorise chacun à quitter son rôle officiel. Le public ose sourire et même rire parfois. L’artiste s’exprime plus volontiers et parfois de façon personnelle, même en l’absence de micro.
Au disque, le Bis pourrait aussi revêtir une autre fonction, non moins noble. Un répertoire court, extrêmement charmeur et empreint de virtuosité tout de même ? Marina Chiche confirme notre idée. « Il est effectivement apparu que ce disque pouvait alors l’air d’une playlist. C’est dans l’obsession du temps, le zapping, le streaming… Ce répertoire est en fait une magnifique porte d’entrée pour la grande musique. Dans la musique classique, il y a tout et son contraire. Des formes très très longues comme les symphonies de Mahler ou les opéras de Wagner, et ces miniatures qui attiraient un public immense au 19e et au début du 20e siècles. On peut s’étonner que dans le développement de la musique classique (avec l’avènement du disque et la professionnalisation), on ait mis de côté ce répertoire. Pourtant, ce répertoire peut avoir une vraie profondeur, une vraie expression artistique et émotionnelle tout en étant très accessible. »
Au plaisir des miniatures
Post-Scriptum est un disque rempli d’histoires. Celles des artistes, prodiges et interprètes, qui perpétuent une tradition et ce faisant, invitent le public contemporain à redécouvrir et goûter toutes les saveurs de pièces brèves mais ciselées, virtuoses mais sensibles. En écoutant le violon expressif de Marina Chiche et le piano non moins joueur d’Aurélien Pontier, on se dit que les vertus du Bis et de ces miniatures sont immenses. Car il y est question de plaisir et de charme tout autant que de savoir. Un écho, peut-être, à Francis Jammes… « Je fais ce qui me fait plaisir, et ça m’ennuie de penser pourquoi ». (In De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir, Mercure de France).

Lucienne Boyer : Mon coeur est un violon
Pour en savoir davantage sur Marina Chiche : http://www.marina-chiche.com/
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