
Si de motets napolitains, vous ne savez que penser, voilà que ce disque, disponible depuis le 31 janvier 2020, pourrait éveiller votre curiosité et remplir de beauté une heure d’écoute sereine et jubilatoire. Il s’agirait alors de la première heure, car celui qui se laisserait tenter par eux, pourrait y revenir à maintes reprises ensuite.
La contralto Anthea Pichanick et l’ensemble Les Accents, dirigé par Thibault Noally livrent un disque tout à fait réjouissant. Les artistes prêtent leur talent à la forme du motet à une voix avec accompagnement instrumental, se faisant ainsi l’écho de l’école napolitaine de la voix à la fin du 17e siècle et au début du 18e siècle.
A l’heure des motets napolitains
Dix-huitième siècle ? Paris et Vienne. Dix-septième siècle et dix-huitième siècle ? Naples. Dès avant Paris et Vienne, en effet, dans cette ville du sud de l’Italie, on joue, on chante, on éduque des musiciens et on les exporte dans toute l’Europe. Quatre conservatoires forment alors, pendant près de deux siècles, des musiciens à la renommée éclatante. Il n’est pas que le fameux castrat Farinelli qui ait puisé dans ce fécond terreau la substantifique renommée de son art. C’était aussi l’heure glorieuse des compositeurs comme Alessandro Scarlatti et ses successeurs, Nicola Porpora et Leonardo Leo.
Anthea Pichanick et Thibault Noally ont choisi ensemble de relever un défi. La jeune contralto l’explique très bien. « Il nous revenait, soit de choisir l’évidence en chantant Vivaldi et en ayant avec nous des enregistrements et des bases pour travailler, soit de nous lancer un challenge. Nous avons choisi le challenge en enregistrant des motets d’Alessandro Scarlatti mais aussi deux pièces totalement inédites : celles de Leonardo Leo et de Nicola Porpora. Ce faisant, nous mettons en lumière des formes musicales et des oeuvres qu’on ne connait pas. » Grace à ce disque, nous découvrons ainsi le Turbido caelo mare furentes de Leonardo Leo et le Regina Caeli de Nicola Porpora. Pas pour le plaisir tout intellectuel de se dire qu’on écoute un premier enregistrement de ces pièces mais parce qu’elles sont de toute beauté, alternées avec les illustres Totus amore languens et De tenebroso lacu d’Alessandro Scarlatti. Pas moins splendides.
Au plus près du point d’équilibre
Musique d’église, le motet « comporte en général une alternance d’airs et de récitatifs, qui tout à la fois, mettent en lumière les différentes subtilités du texte latin, et permettent au chanteur, le castrat du XVIIIe siècle comme la cantatrice contemporaine, de montrer son talent dans le cantabile des épisodes intériorisés ou dans la virtuosité de passages plus enflammés. » (Patrick Barbier, In livret du disque.) La voix chaleureuse d’Anthea Pichanick est l’alliée de sa diction claire. Surtout, on admire sa capacité à rester proche du texte sans étouffer les merveilleux solistes qui l’accompagnent. Il ne s’agit pas d’opéra mais de musique d’église et pourtant, la beauté de ces pièces est si enveloppante qu’il eut été aisé pour la contralto d’accaparer. Anthea Pichanick et Thibault Noally réussissent mieux. Celui du pari de l’équilibre.
Eloignez-vous de moi, festins de ce monde plein de vanités, ce n’est pas vous que je recherche. Je ne désire pas vos plaisirs, doux de prime abord mais amers en les goûtant. Votre nourriture ne rassasie pas.
Alessandro Scarlatti, Totus amore languens
Nous interrogeons Anthea Pichanick sur cette ambition de restitution d’un équilibre. « Il me fallait atteindre une sorte d’état d’âme dans lequel on ne se laisse pas déborder, comme on pourrait le faire de temps en temps à l’opéra. D’un autre côté, il ne fallait pas non plus se laisser complètement emmener dans un état mystique car il fallait garder à l’esprit le sens du texte. J’avais déjà ressenti la même chose en chantant des cantates de Bach. La limite est difficile. Car cette musique nous prend tellement aux tripe. Elle est si incroyablement belle. Quand on la chante, on a envie de se laisser complètement aller. Il faut donc trouver un juste milieu pour l’interprétation soit la meilleure possible. »
La voix, soliste et musicienne
Equilibre est le mot. C’est que l’écriture du motet est voulue et pensée comme une pièce de musique de chambre. Chaque instrument est un soliste, la voix étant l’un de ces solistes. Le violon de Thibault Noally, profond et puissant, est soutenu par les autres instruments. La voix de la contralto s’insère naturellement parmi eux. Pour Anthea Pichanick, « ce qui rend la pâte sonore de ces motets napolitains intéressante, c’est vraiment de comprendre que la voix doit être la plus proche possible des instruments. Ces motets sont, en effet, écrits pour que la matière vocale soit très proche de l’instrument, le violon notamment. Il fallait donc considérer que ma voix était l’un des instruments d’un ensemble de chambre, ni plus ni moins. »
« Motets napolitains », voilà donc un disque réjouissant. Beauté de la musique qui nous y est offerte, pouvoir enchanteur de la voix d’Anthea Pichanick, raffinement du jeu des instruments. Voilà aussi un disque dont le texte de présentation, écrit par Patrick Barbier, est captivant. Tous, musiciens et historien, ont su, au gré de leur talent, conter et faire revivre l’histoire. La preuve que les disques, comme les livres, peuvent illuminer bien des jours grisonnants. Et que rangés en nos bibliothèques, ils nous attendent. Les jours de grand soleil comme de tempête.
Les photographies de cette publication ont été prises par Jean Combier et Julie Cherki.
Vous aimerez aussi..
Pour découvrir le site d’Anthea Pichanick, cliquez ici : http://www.antheapichanick.com/
Cliquez ici pour découvrir l’Ensemble Les Accents : https://lesaccents.fr/
Anne-Sandrine Di Girolamo Bach Baroque Beethoven Brahms Chef d'orchestre Chopin Clavecin Compositeur contemporain Compositeurs russes Concert Concerto Cordes Debussy Festival Flûte Franz Liszt Gang Flow Harpe histoire Lecture Littérature Mozart Musique ancienne Musique baroque Musique classique Musique de chambre Musique française Opéra Orchestre Orchestre National de Lille Orchestre symphonique orgue Piano Pédagogie Quatuor Ravel romantisme Russie Viole de gambe Violon Violoncelle Vivaldi voix