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Orchestre National de France : L’histoire de son joyeux Boléro

Orchestre National de France (c) Dimitri Scapolan

L’Orchestre National de France a publié une vidéo qui restera certainement dans les mémoires. Un Boléro de Ravel interprété par de nombreux musiciens de l’orchestre depuis chez eux, en cette période qu’on appelle sobrement de « confinement ». Son réalisateur, Dimitri Scapolan, nous explique comment il a travaillé pour garantir la qualité de son travail, alors même que les conditions d’enregistrement n’étaient pas optimales.

Quand l’Orchestre National de France fait appel à Dimitri Scapolan

Dimitri Scapolan travaille chez Radio France depuis dix-huit ans. D’abord opérateur du son, puis ingénieur du son, il est ensuite passé par la post-production pour la musique classique pendant presque dix ans. Polyvalent, il a été formateur. Mais il a travaillé aussi à la production d’opéras pour la télévision ou à la captation audiovisuelle pour Jean-François Zygel. Depuis le lancement de la plateforme http://www.francemusique.fr, il fait partie de l’équipe très multitâche du Service Vidéo de Radio France. Et il est, bien sûr, le spécialiste musique classique.

Comme il le dit très simplement, « la musique, c’est toute ma vie. J’ai étudié le violon quand j’étais plus jeune, puis l’harmonie. Je lis régulièrement des biographies de musiciens et de compositeurs. Le domaine musical et les musiciens, c’est vraiment mon environnement. » Cette proximité avec les artistes est importante. Il a ainsi pu appeler la flûtiste solo et amie de l’orchestre philharmonique de Rotterdam. Un orchestre aux origines d’une autre fameuse vidéo. Une « Ode à la joie » très particulière en ces temps de confinement. Cette vidéo a inspiré les musiciens de l’Orchestre National de France… Voilà donc Dimitri Scapolan en charge de produire un Boléro de Ravel, façon vidéo et façon confinement. Mais sans lésiner sur la qualité de son travail. Et c’est sur ce point précis que nous lui avons posé quelques questions.

La vieille technique de la bande démo

Nous étions curieux de connaître le mode opératoire de production de cette vidéo. Dimitri Scapolan nous explique patiemment les choses. « A Rotterdam, ils ont utilisé une vieille technique qui a peut-être cinquante ans. C’est ce qu’on appelle le principe de la bande démo qu’on utilise encore en pop ou en rock ‘n’ roll. En studio, les musiciens s’enregistrent les uns après les autres. Mais avant cela, un maquettiste fabrique une bande au rythme. On le fait désormais avec le logiciel Cubase. Cette bande au rythme donne une idée synthétique de ce que va donner le morceau de musique. Dessus, on met un « clic » rythme qui donne un repère rythmique aux musiciens. »

Aux côtés de Dimitri Scapolan, un second personnage entre dans la danse. Il s’agit de Didier Benetti, timbalier de l’Orchestre National de France, chef d’orchestre et arrangeur également. Le Boléro de Ravel était un peu trop long pour ce type de projet. Il l’a donc réorchestré et arrangé. Et Dimitri Scapolon lui a demandé de rajouter le fameux « clic » dont nous parlions plus haut. La partition a été envoyée aux musiciens et le tournage a alors commencé. A la maison, et sur un téléphone au format 16/9 pour chacun d’entre eux.

Combien de musiciens de l’Orchestre National de France ?

Tout n’était pas simple. Combien de musiciens devaient participer à l’aventure ? On rappelle que le montage d’une vidéo est un travail long et minutieux. Dimitri Scapolan a donc choisi de commencer avec 21 musiciens pour suivre la partition de base dans un premier temps. Il a ensuite étendu le nombre de musiciens pour donner de l’effet à la vidéo. Le travail de classement ? Une oeuvre de bibliothécaire !

J’ai reçu 150 fichiers. Il a fallu organiser tout cela sur l’ordinateur. Mettre chaque nom, chaque instrument, chaque spécialité. J’ai ensuite commencé à organiser le début du Boléro en prenant d’abord la caisse claire puis les interventions instrumentales et en les superposant à l’oreille. »

Le montage a été long. « J’ai découpé la partition en quinze parties pour pouvoir préparer mes mosaïques puisque je voulais mettre en valeur les interventions musicales. Ainsi, en fonction des instruments, on se retrouve avec une mosaïque de trois, puis de quatre, puis de neuf, puis de quatorze, puis à nouveau de neuf etc. C’est très mouvant. Je voulais que la forme soit musicale. J’ai donc préparé des grilles ou des patrons sur Photoshop pour caler mes lucarnes. Je recevais les vidéos au fur et à mesure par We Transfer. Le travail de rangement a été le travail le plus long. »

Le mystère de la qualité du son

Vous avez sans doute été surpris par la qualité du son dans cette vidéo. Chacun se filmant sur un téléphone portable, on pouvait craindre un effet artisanal. Il était en tout cas attendu. Voilà donc comment Dimitri Scapolan a travaillé car lui aussi avoue avoir été interpellé.

« J’ai commencé à superposer les pistes et ensuite fait une conformation. J’ai donc exporté l’empilement des pistes sonores pour pouvoir les mixer sur le logiciel Pyramix. Mon travail d’ingénieur du son a alors commencé. On « dispatche » les instruments à gauche et à droite, on ajoute de l’espace, on corrige les niveaux d’équilibre, on rajoute un peu de réverbération. J’ai alors écouté, et là je n’ai pas compris ce qui se passait. C’était absolument extraordinaire. »

Dimitri s’est alors posé quelques questions. Voici comment il analyse les choses. « Normalement, un téléphone c’est fait pour « parler dedans ». Le micro a une dynamique de travail qui vise à ce que l’interlocuteur puisse entendre agréablement. Or, quand on joue d’un instrument de musique devant un téléphone, le micro et le système de prise de son du téléphone ne sont pas habitués à un tel niveau sonore. C’est très fort ! On est, en effet, au-delà de 85-90 dB. On se retrouve donc avec un son un tout petit peu tassé mais propre par rapport à l’environnement sonore. C’est en fait cela qui est intéressant car on obtient une espèce de générosité de son très arrondi qui fait que naturellement, le son se mixe tout seul.« 

Quelques innovations encore

La vidéo produite par Dimitri Scapolan et les musiciens de l’Orchestre National de France recèle bien des détails intéressants. Le son faisait partie des questions. Le format aussi. « Nous avons un peu innové aussi sur ce point. D’habitude, nous travaillons en Full HD (1920 x 1080 px). Pour cette vidéo, puisqu’ils s’agissaient de téléphones (qui enregistrent en 720 ou 1920, donc en qualité de base), j’ai pensé qu’il faudrait passer en 4K si on agrégeait les vidéos. Avec l’accord de France Musique, j’ai donc travaillé sur cette base de ultra-haute définition. C’est ce qui fait sa qualité. Quand on la regarde, que ce soit sur France 2, sur TF1 ou sur M6, on voit la définition. »

Au cours du montage, les difficultés ont été nombreuses. « La plus grosse complication à la fin a été de faire une mosaïque de trente-cinq puis de cinquante-et-un musiciens. Pourquoi ? Parce que les vidéos des téléphones utilisent des codecs compressés. Cela veut donc dire que l’ordinateur doit faire un travail important pour décoder ces images en temps réel. Quand on charge deux, trois ou quatre vidéos, le processeur commence rapidement à s’épuiser même si l’ordinateur est récent. Quand j’ai mis les trente-cinq vidéos, l’ordinateur n’a même pas réussi à les lire. J’ai donc dû faire un rendu de prévision en haute qualité des mosaïques pour voir le résultat final.« 

Préserver le travail des musiciens professionnels

Cette vidéo fait la preuve de bien des volontés. Celle des musiciens de continuer à jouer ensemble. Mais aussi celle des équipes audio-visuelles à garantir la qualité de leur travail. Parce que rien ne remplacera jamais un concert dans une salle de spectacle, un beau disque ou un enregistrement professionnel, Dimitri Scapolan a passé près de quarante heures pour produire cette vidéo, garantir le meilleur effet et donc préserver le travail de nos musiciens professionnels.



Toutes les photos de cette publication ont été prises par Dimitri Scapolan. Nous le remercions chaleureusement de son accord à les publier sur Gang Flow ainsi que de cet entretien.


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D’autres en parlent également : https://www.huffingtonpost.fr/entry/confinement-coronavirus-orchestre-bolero-ravel_fr_5e81f58fc5b6cb9dc1a3fe39


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