
Buxtehude au temps de Buxtehude. A Lübeck, là où l’organiste de la paroisse Sainte-Marie s’est installé pour ne plus jamais en partir. A Uppsala, là où ont été redécouvertes nombre de partitions alors collectées par l’ami Gustav Düben. Et les copains ? Parce que La Rêveuse souhaitait faire découvrir le cercle musical de Buxtehude. Ah, on oubliait ! Il s’agit de cantates pour voix seule. Un répertoire intime et déjà peu répandu à l’époque. Mais ô combien intéressant. Buxtehude, un compositeur qu’on découvre sous un jour différent.
Buxtehude, l’artiste tranquille
Le compositeur a déjà soufflé à la Rêveuse l’idée de trois disques. Le plus récent, sorti chez Mirare en février 2020, s’applique à faire découvrir au public quelques partitions de sa musique vocale à une voix. Un répertoire intime et rare. Florence Bolton rappelle, en effet, les circonstances socio-historiques. « Finalement, la musique à une voix, il n’y en a pas tant que cela à l’époque. Souvent les grands centres musicaux d’Europe du Nord sont alors si riches qu’il y est possible d’entretenir des musiciens en nombre. Ainsi, là où il y a de la belle musique, on considère que cela doit être de la musique avec beaucoup de musiciens. L’idée était d’avoir du faste et donc de la musique à plusieurs voix. »

Le répertoire choisi est intime. Il est écrit par un personnage serein, décrit par Florence Bolton ainsi. « Il y a, dans sa musique, une espèce de joie et de foi sereine. On sent que Buxtehude n’est pas l’artiste maudit mais vraiment l’artiste tranquille. Il écrit une musique qui fait du bien, sans se poser de questions. »
Buxtehude est un créatif et pas un dogmatique. « On peut dire que par rapport à certains de ses contemporains, Buxtehude n’est vraiment pas un dogmatique de la forme. Chacune de ses oeuvres ne ressemble à aucune autre. Prenons l’exemple du « Dixit Dominus » que nous avons trouvé dans les manuscrits d’Uppsala. ll s’agit d’une forme polychorale comme en faisait à Venise, mais qu’il a adaptée. Au lieu de placer le soliste puis le choeur qui reprend ensuite, il donne la parole aux instruments. C’est génial. Buxtehude a vraiment beaucoup d’idées. D’ailleurs, il était reconnu pour ses talents d’improvisateur. Il fait de la musique pour faire de la musique, de manière simple et cela me fascine. »
Buxtehude et la musique voyage !
La musique et les musiciens circulent ! C’est cela qui nous intéressait aussi dans ce projet autour de la Baltique. Et ce qui est encore plus merveilleux avec Buxtehude, c’est qu’il ne bouge pas de Lübeck mais qu’il fait quand même circuler la musique.
Florence Bolton

Au dix-septième siècle, si on cherche des musiciens en France, on se rend à Paris ou à Versailles. En Allemagne, dans le Saint Empire romain-germanique, les musiciens voyagent, de cours en cours et de villes libres en villes libres. Certains foyers musicaux sont peut-être plus intéressants que d’autres, mais c’est l’idée d’une itinérance de la musique, des partitions et des musiciens qu’il faut retenir.
Buxtehude et les copains
Buxtehude et les copains. C’est ainsi que nous avons titré les choses. A nous désormais de nous en expliquer. La Rêveuse nous donne, en effet, l’occasion de rencontrer certains compositeurs intéressants et très peu connus autour du grand maître. Tous sont des personnages que Florence Bolton fait ressuscite avec talent. « Johann Philipp Förtsch, c’est vraiment quelqu’un ! Il a un style un peu désuet par rapport à Buxtehude mais sa vie est passionnante. Il fait de la musique pour son plaisir mais il est diplômé en droit et en médecine et il a même fait une carrière politique. Ce n’est pas le compositeur tel qu’on se l’imagine, un peu à la Bach d’autant qu’il n’est pas issu d’une famille de musiciens. Lui, c’est l’anti-Bach. Doué, mais voilà. Si un jour, il veut faire autre chose, il le fait. »
Gabriel Schütz est complètement inconnu. Violiste de Lübeck, il cherche à partir en Italie mais s’arrête en Allemagne et y reste jusqu’à sa mort. « Sa musique est intéressante. Pour le moment, je crois qu’il ne nous reste que sa Sonate à deux violes de gambe, ce qui est peu courant en musique instrumentale, par comparaison à la musique vocale. »
Et Christian Geist ? « Il est moins connu que Buxtehude. J’aime bien son côté ensoleillé italien parce qu’il choisit de mettre deux violons pour accompagner la voix. Il faut savoir que la viole est un instrument plus allemand. Buxtehude mélange volontiers viole et violon, ce qui prouve à quel point il est ouvert et moderne. Et Geist, lui, nous fait de la musique avec deux violons… Il faut rappeler que tous ces musiciens avaient accès à la musique italienne, bien que vivant très loin de l’Italie. Buxtehude, par exemple, avait accès à des bibliothèques plutôt bien fournies en musique italienne. Ils s’en sont inspirés. »
L’art d’entretenir des réseaux
Il nous reste à évoquer le beau-père Franz Tunder à qui Buxtehude succéde à l’Eglise Sainte-Marie de Lübeck. Homme de réseaux, il sait, en effet, comment cultiver et faire fructifier ses relations avec les notables de la ville. Ce que Buxtehude ne manquera pas de continuer à faire avec talent en organisant ses Abendmusiken, des concerts gratuits et publics de musique vocale et instrumentale qu’on donnait chaque année les dimanches entre la Saint-Martin et Noël grâce à un système de mécénat très moderne.
Lübeck, ville libre et ancienne capitale de la Hanse déchue, est alors devenue une ville moyenne qui subit la concurrence des négociants anglais et hollandais. Occupant le prestigieux poste d’organiste de la l’Eglise Saint-Marie fréquentée par les marchands, Buxtehude fait voyager la musique. On vient le visiter de toute l’Europe mais surtout, les liens d’amitié qu’il entretient avec Gustav Düben, maître de chapelle à la cour de Stockholm, le conduisent à user régulièrement des liaisons maritimes pour lui envoyer des partitions. Des oeuvres vocales et instrumentales pour divers effectifs, conservées à Uppsala et qui témoignent de l’inventivité, de la créativité et de la modernité du compositeur.
Ce disque de La Rêveuse est, une fois encore, un petit bijou d’histoires et de musique. On y rencontre un Buxtehude personnel et intime, entouré de musiciens non moins personnages. Sédentaire établi dans une ville moyenne à la gloire un peu ternie, il se nourrit de toutes les découvertes de son époque et de son continent. Créatif tranquille, il a bien moins voyagé que sa musique. Mais là était sans aucun doute l’important. Et lui, le savait bien.
Extrait

Les photographies de cette publication ont été prises par Robin Davies.
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