Chère Madame Elisabeth Leonskaja, merci

Elisabeth Leonskaja

Elisabeth Leonskaja. Chère Madame Leonskaja…. Votre nom signe l’élégance. Votre jeu, sobre et profond, votre manière d’être à la scène, et à la vie, supposent un dévouement total à l’art musical. Ce respect et cette tenue que vous vous imposez sont un guide. Vous qui rejetez le pathos inutile pour produire en chaque note la quintessence du sensible et de l’essentiel, nous vous écoutons, reconnaissants. Votre dernier enregistrement, consacré à certaines des plus belles pages du répertoire schumanien, est l’objet musical par essence. Il porte et sert la musique. Perfection du discours, intimité sincère et humaine avec le compositeur. Il est tout cela, posant même les questions sans imposer au public la réponse. Inestimable travail d’un artiste qui respecte au plus près le travail et la personnalité d’un autre artiste.

L’univers de Robert Schumann par Elisabeth Leonskaja

Elisabeth Leonskaja

Le récital est somptueux. Les Variations Abegg op.1, Papillons op.2, deux versions des Etudes symphoniques en forme de variations op.13 puis les Geistervariationem. Viendront enfin la sonate pour piano n°1 op.11 et la sonate n°2 op.22.

Ce récital emmène dans l’univers de Robert Schumann. Celui des années d’attente de Clara d’une part (ils se marient en 1840) et celui d’une partie de cache-cache du compositeur avec lui-même d’autre part. En 1833, il note dans son journal : « Dans la nuit du 17 au 18 octobre, il me vint tout à coup la plus effroyable pensée qu’un homme puisse avoir, et la plus terrible par laquelle le Ciel puisse venir : LA PENSEE QUE JE PERDRAIS LA RAISON… ». Entre 1829 et 1840, Schumann cherche donc un équilibre, entre le lyrisme personnel qui l’assaille (et le fait vaciller parfois) et une vision presque cosmique de sa mission en tant qu’artiste. Plus tard, en 1854, après une tentative de suicide dans le Rhin, l’heure n’est plus à la recherche de l’équilibre. Schumann sombre. Il écrit sous la dictée des mélodies qui lui sont soufflées par des créatures de l’au-delà…

C’est cette fragile et féconde personnalité qui se perd au fil des années qu’Elisabeth Leonskaja parvient à incarner en un peu plus de deux heures. Le programme de son enregistrement est, en effet, comme un miroir dans lequel les yeux du compositeur se perdraient. On y reconnaît le goût de Schumann pour les cryptogrammes et les rébus musicaux. Sa croyance et son attirance pour le spiritisme. Puis sa confusion entre le réel et l’imaginaire. Il y a chez Schumann une tension permanente que la grande pianiste nous livre, dans un respect presque religieux de ce qu’étaient l’homme et le musicien.

Elisabeth Leonskaja ou la sagesse audacieuse

Elisabeth Leonskaja

Ce programme est une invitation dans la psychologie schumanienne. Cet homme, habité par l’imaginaire puis invité par l’au-delà, a commencé par se divertir (Ses Variations ABEGG trahissent son amour des cryptogrammes). Il a ensuite usé de sa personnalité multiple (Papillons, Sonate n°1 op11, etc). Il a enfin succombé à l’appel des anges. (Geistervationem, une composition basée sur une mélodie qu’il disait avoir reçue directement de l’esprit de Mendelssohn et de Schubert). Ce programme est une invitation dans la psychologie schumanienne et suffirait à faire de cet enregistrement un joyau. Elisabeth Leonskaja, toutefois, dépasse l’art du portrait qu’elle pratique pourtant si bien avec une interprétation pleine de sagesse des Etudes symphoniques en forme de variations op.13.

Inestimable objet musical

L’enregistrement proposé par Elisabeth Leonskaja a ceci d’inestimable qu’il propose les Etudes symphoniques en forme de variations op.13 de Robert Schumann en proposant au public une sorte de leçon préparatoire à la composition, après avoir consulté les ébauches et les avants-projets de l’oeuvre. Elle présente ainsi les pièces aux origines de la genèse de l’oeuvre avant d’en offrir la version mature. Comme l’écrit Hans Joachim Köhler, « En comparant ces deux créations, l’auditeur peut expérimenter la fluctuation du principe de la variation dans les cinq pièces – qui explorent directement les éléments du thème – mais encore, en même temps, les mutations se produisant au coeur de chacune d’entre elles. » Cette présentation double de l’oeuvre est audacieuse. Elle dénote la faculté de cette immense pianiste à susciter les questions sans imposer la réponse. Elle amène à la découverte sans imposer l’issue du chemin.

Au son extraordinairement profond de ce piano mûr et intime avec l’homme et l’oeuvre, nous comprenons ce que l’expression « objet musical » veut dire. Il y a les disques d’un côté et il y a les objets musicaux de l’autre. De très beaux objets musicaux. Ceux-là, seuls des artistes disposés à faire résonner en eux toutes les voix d’un compositeur peuvent les faire naître. Grâce à Elisabeth Leonskaja, nous avons rencontré Robert Schumann dans sa complexité d’homme et de compositeur la plus précise. Merci Chère Madame.



Continuer la découverte

Elisabeth Leonskaja est photographiée par Marco Borggreve.


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