
Chausson le musicien. Chausson le littéraire. Musique et mots sont mêlés chez cet avocat dont la carrière a été bouleversée par son amour de la musique et du dessin. Décédé, à l’âge de 44 ans, d’un accident de bicyclette en 1899, il est une figure parfaite du héros romantique.
L’ensemble Musica Nigella, dirigé par Takénori Némoto, propose au disque un portrait très juste de ce compositeur épris des arts. Empli de jeunesse et de fraîcheur, cet enregistrement donne la juste mesure de cette personnalité artistique multiple, complexe et riche. Le portrait d’un intellectuel musicien, précis et gourmand de tout.
Chausson le littéraire, Chausson le compositeur
Chez Ernest Chausson, les mots ne sont jamais bien loin des notes. Devenu avocat en 1877, il compose Lilas la même année. Voilà de quoi perturber la carrière professionnelle imposée par la famille et trahir de profondes aspirations artistiques.
Entré au Conservatoire de Paris dans la classe de Jules Massenet, le jeune homme est assidu. Féru de littérature. Marqué par Wagner (il passe sa lune de miel à Bayreuth afin d’entendre Parsifal), il emprunte aux poètes de son époque l’inspiration, jusqu’à permettre à certains, comme Maurice Bouchor, d’esquiver l’oubli. (Source du portrait ci-contre : Gallica Bibliothèque Nationale de France).
De l’intention première de composition
Le disque est subtilement pensé par Takénori Némoto. Il s’ouvre avec la Chanson perpétuelle Op.37 composée sur un poème de Charles Cros. Ce poème, Nocturne, peint le ressenti, sur l’instant, d’une femme abandonnée. Passionnant est le point relevé par le chef. « Même si la nomenclature d’origine est celle employée dans cet enregistrement (voix, quatuor à cordes et piano), son écriture nous fait penser aisément que Chausson avait imaginé dès le départ l’écriture de la version symphonique (voix et orchestre) qu’il a publié quasi simultanément, tant l’effet de la masse sonore intense, créé par l’utilisation des tremolos, des unissons des cordes etc.., est omniprésent. »
Cette question de la chronologie et de l’intention première de composition est également au coeur de la seconde pièce du disque. La musique de scène pour voix et orchestre composée par Chausson pour la pièce éponyme de Shakespeare, La Tempête, est une découverte. Grâce à un travail de reconstitution qui n’est pas sans évoquer, presque, celui du chercheur sur le palimpseste, on savoure la reconstitution d’une version perdue pour flûte, violon, alto, violoncelle, harpe et célesta. La musique est splendide et merveilleuses sont Louise Pingeot et Eléonore Pancrazi, parfaitement complémentaires et complètement oniriques.
Le livret écrit par Takénori Némoto est, au surplus, passionnant. « Il suffit de regarder les traces de corrections au crayon ou la suppression de certaines parties gommées qui restent malgré tout visibles sur la partition manuscrite de la version symphonique, pour se rendre compte que Chausson a sans doute composé (au au moins imaginé) la « petite » version (….) avant d’étoffer sa partition pour une formation grand-symphonique. »
Surnommé le « Wagner français »
Le disque se referme sur l’une des pièces les plus connues du compositeur : le Concert pour violon, piano et quatuor à cordes Op.21. Composée en 1891, elle constitue l’un des plus grands succès de Chausson. Sans cesse aux prises avec le doute, il écrivait pourtant en 1892 : « Il me semble que je travaillerai avec plus de confiance à l’avenir. »
Si le doute est la seconde nature de tous les artistes, l’oeuvre est expressive, emplie de lyrisme et dramatique à la fois. Elle mérite amplement, selon Takénori Némoto, le surnom de « Wagner français » du compositeur. Emmenée avec une extrême sensibilité par Pablo Schatzman au violon et Jean-Michel Dayez au piano, l’oeuvre est envoutante.
Quand le travail musical se nourrit et s’enrichit d’un questionnement profond sur le texte tel qu’il a été mené par Takénori Némoto, on atteint le beau. Ce disque, Chausson le littéraire, fait partie de ces projets intellectuellement et musicalement abouti dont on admire la justesse. Entre les mots et les notes, Chausson ne savait que choisir parfois. Nous choisirons la musique telle qu’elle nous est offerte ici, gardant en mémoire l’affection du musicien pour la littérature.
Extrait
Découvrez ce disque Rachmaninoff à Lucerne
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