L’heure bleue : ce disque de la foi en l’avenir

L’heure bleue, un disque proposé par la violoniste Marianne Piketty et son ensemble Le concert idéal. L’heure bleue est le moment fugitif où la nuit s’éteint et le jour s’illumine. Du bleu et du silence qu’on aperçoit en un instant où tout est fragile et fugace. De la nuit au jour. Et du passé à l’avenir. De ce qui hante et terrorise parfois à ce qui jaillit, dans un élan d’espoir.

Le disque de Marianne Piketty associe désormais à ce bref et poétique instant une esthétique sonore. Dépassant les considérations platement temporelles, il rassemble avec subtilité Hildegarde de Bingen, Dimitri Shostakovitch, Karl Amadeus Hartmann et Philippe Hersant. En filigrane, au son de ce violon de la maturité, un lumineux message d’espoir.


L’heure bleue est pleine d’espoir

Le programme est comme tissé autour de deux oeuvres que des siècles séparent. Le Concerto Funèbre de l’allemand Karl Amadeus Hartmann, écrit en 1939, et trois Visions de la rhénane Hildegarde de Bingen, née en 1098, et adaptées par Olivier Fourès : O Magne Pater, Rex Noster Promptus Est, Vos Flores Rosarum. Transcrites ici par Olivier Fourès, ces pièces sont saisissantes de modernité.

Un Concerto Funèbre

Opposant farouche au nazisme, Hartmann écrit, en 1939, un concerto à la fois sombre et lumineux. Ainsi que l’écrit Marianne Piketty dans son remarquable livret, « C’est en 1939 qu’il écrit son Concerto Funèbre, en réaction à l’invasion de la Pologne et à l’annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler ; (…). Sombre et lugubre, il naît du silence et s’enfonce dans la nuit, annonce les horreurs à venir du régime nazi. La ligne de violon semble évoluer à la limite du sonore, interrompue par de fugaces éclats : visions cauchemardesques que l’orchestre accompagne frénétiquement, et que la brève respiration du dernier mouvement soulage à peine. Véritable cri contre l’aveuglement humain, cette oeuvre se veut également porteuse d’un espoir et d’une profonde foi en l’avenir de l’humanité. » Et l’auteur de citer le compositeur qui dispose espoir et désespoir au sein même des quatre mouvements de l’oeuvre.

Le mysticisme en réponse, à rebours

A la résistance farouche d’un citoyen, répond comme à rebours, la musique d’une religieuse bénédictine et mystique. Hildegarde de Bingen, compositrice, femme de lettres à la tête d’un atelier d’enluminures, est considérée comme l’une des premières naturalistes. Le savoir chez elle accompagne le mysticisme le plus fervent. Sa musique en écho. Pour Marianne Piketty, « Le choix des trois Visions de Hildegarde de Bingen s’est fait en miroir du Concerto Funèbre de Hartmann : O Magne Pater, l’origine, Rex Noster, écrit pour les Martyrs innoncents, Vos Flores Rosarum, message d’espoir décrivant les roses capables de pousser sur un champ ensanglanté. »

Le dialogue musical, en prolongement

Marianne Piketty

Comme prises entre les lacs et les entrelacs d’Hildegarde de Bingen et de Hartmann, les musiques de Dmitri Shostakovitch et Philippe Hersant ajoutent au disque une épaisseur supplémentaire de signifiance.

Une vision d’Hildegarde, écrite par Philippe Hersant, sur une commande du Concert Idéal, selon Marianne Piketty, « apporte un regarde contemporain sur cette opposition entre la prémonition funeste de Hartmann et celle, flamboyante, de la poétesse. »

Enfin, les Deux pièces pour Octuor à Cordes Op.11, écrites par un tout jeune homme de 18 ans, entre 1924 et 1925, sont d’une force troublante qu’on retrouve dans le Concerto Funèbre de Hartmann.

Remarquable que le choix de ces deux oeuvres, placées comme un appel et une réponse au discours d’Hildegarde de Bingen et de Hartmann. Elle rappelle que le dialogue entre les artistes, visible dans un travail d’allusions et de références, est une manière souveraine de perpétuer et de grandir la réflexion et donc le discours.

L’heure bleue est riche. Une invitation à la découverte d’oeuvres dont le discours est au coeur d’une réflexion autour du vital. Un moment précieux d’élévation intellectuelle et musicale. L’artiste au regard sombre sur son époque porte en lui les lignes entières du passé. Elles lui permettent d’envisager un avenir, peut-être meilleur, sans doute fondé sur l’espérance. Voici donc un disque dont le programme, qu’on pourrait craindre comme écartelé d’entre les siècles et les époques, convie à percer à jour la force de ceux qui espèrent, malgré tout.

Ecouter L’heure Bleue


Aller plus loin

Le site internet du Concert Idéal http://mariannepiketty.com/


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