
Le Sirba Octet, cet ensemble fondé par Richard Schmoucler en 2003. Comme beaucoup d’autres ensembles, direz-vous. Peut-être ou peut-être pas. A nos lecteurs d’en juger. Car c’est une longue histoire que nous allons raconter ici. Très longue histoire. Ni douloureuse ni heureuse au fond. Juste très longue, comme beaucoup d’histoires qui titillent et chatouillent les tréfonds de l’humain, nous donnant ainsi la mesure de ce qu’il est capable d’entreprendre.
Des yeux qui brillent

Voyez-vous cette photographie ? Elle nous a mené jusqu’à Richard Schmoucler. En 2015, le Sirba est déjà grand. Une quarantaine de concerts par an, en France et à l’étranger, jusque dans les plus belles salles. Ce jour-là est particulier. A l’occasion du tournage du film promotionnel de leur nouvel album Tantz !, les musiciens jouent, entourés de techniciens de l’image.
Le réalisateur immortalise alors ce que le musicien fondateur de l’ensemble nourrit au fond de lui. Un besoin viscéral de transmettre. Richard Schmoucler raconte. « Le réalisateur a mis les musiciens dans le noir et nous a demandé de fermer les yeux. Il a alors fait venir devant moi ses deux filleules. Elles ont alors commencé à jouer devant moi un air yiddish. Je ne m’y attendais pas du tout ! J’ai ouvert les yeux et j’ai découvert ces petites merveilleuses. Mes yeux brillaient. C’est ce qu’il a filmé. » Ces deux petites merveilleuses, comme ils les appellent tendrement, sont devenues ses élèves et vont devenir « de formidables violonistes ».
Un air yiddish joué dans le noir. Richard Schmoucler a grandi au son de cette musique. Il est pourtant ému de l’entendre jouée, même imparfaitement par deux petites filles. C’est ici que commence l’histoire d’un petit garçon juif que le violon a toujours sauvé, in extremis parfois. Et qui, de façon tout à fait inconsciente mais vitale, a créé un ensemble pour que la culture de ses parents, ses parents et sa culture, ne disparaissent pas.
Les artistes ont un besoin vital d’expression. A la création de Sirba, j’ai exprimé un besoin. Celui que mes parents et ma culture ne disparaissent pas. »
Richard Schmoucler
Sirba : un long chemin de transmission familiale
Des airs qu’on chante en famille
Prendre le temps de raconter. Richard Schmoucler pose les mots, lentement. « Mon père travaillait dans le bâtiment. Musicien amateur, champion de france d’harmonica, il jouait aussi du piano et de la guitare. Plus jeune, il adorait le jazz manouche. Très doué. Il animait toutes les soirées familiales avec sa guitare. Ma mère occupait le poste de secrétaire dans le conservatoire du douzième arrondissement à Paris. Elle adorait la musique classique. » Les parents se séparent alors que le petit Richard a trois ans et quelques mois. Un premier choc.
« Mon père était très absent. Resté adolescent toute sa vie en somme. Mais il m’a donné tous ses dons et sa passion pour la musique. Le manque même de mon père a sans doute fait que je l’ai remplacé par le violon. Ma mère a quant à elle, tout fait pour que je puisse devenir le meilleur de ce que je pouvais être. Les cours, les stages d’été… Elle a tout fait. » Le jeune violoniste évolue, au son des airs qu’on chante en famille. « A partir du moment où j’ai eu dix ans, j’ai commencé à me rendre aux réunions de famille avec mon violon. Ma tante, ou mon père, chantaient les airs. J’étais au violon, mon père à la guitare. On tapait dans les mains tous ensemble. C’était extrêmement festif. » Cet art familial de la fête ne quittera jamais Richard. Il est au coeur de sa vie en Sirba.
Un lieu sans frontières
Le décès de sa mère est une autre secousse. « Du jour de son décès, je n’ai plus été capable d’écouter cette musique là. A chaque Bar Mitzvah, mariage ou réunion de famille, dès que la musique tsigane ou klezmer venait, je partais. C’était trop difficile. Cinq ans plus tard, je me suis réveillé avec une évidence en tête. Présenter un programme de musique klezmer et tsigane dans la session de musique de chambre de l’Orchestre de Paris. En 2004, j’ai créé le programme A Yiddishe Momme et l’ensemble a pris le nom de Sirba. Et donc… pendant deux semaines, j’ai réécouté toutes les musiques que j’écoutais pendant que j’étais gamin. Et donc j’ai pleuré pendant deux semaines. Chaque morceau me rappelait une odeur, une vision, une atmosphère, un geste, un calin. »
Le regard de Richard se perd. Il nous confie quelques mots plus loin avoir créé le Sirba parce qu’il en avait besoin et que jouer cette musique était devenu une nécessité. Mais Sirba ce n’est pas un groupe comme il en existe tant. « J’avais envie, ajoute-t-il, que Sirba me ressemble. Qu’il soit à mi-chemin entre la musique classique et la musique traditionnelle. C’est pour cela que je parle de « classic world ». » Sirba est un endroit où les frontières n’existent pas. « Pas de frontière entre la musique de tradition orale et la musique de tradition écrite. Ni entre le musicien d’orchestre et le musicien soliste. Ni entre les musiciens et le public. »
Quelque chose comme un art de la fête

« Sirba c’est quelque chose ! » Nous nous souvenons parfaitement de cette exclamation de Sandra, l’épouse de Richard Schmoucler. Quelques mois plus tôt. Depuis, ce « quelque chose » nous taraudait. Avec le Sirba, on découvre un répertoire russe, klezmer, gipsy, écrit et réécrit pour rester à mi-chemin entre la musique classique et la musique traditionnelle. Mais le quelque chose, ce n’est pas cela. Ce n’est pas l’effacement (bienheureux) de la frontière entre des musiques de tradition orale et la musique de tradition écrite. Il n’est pas non plus l’acte (fondateur) de mise sur le papier de traditions musicales orales venues de l’est. Ce quelque chose, c’est un sens de la fête maximale qui remonte à très loin et qui porte loin.
Richard n’est pas religieux, ne parle pas yiddish mais revendique son appartenance au judaïsme. « Je suis un juif de Kippour. Quand c’est possible, je respecte le jeûne de Kippour. Sinon… J’ai été élevé dans la tradition musicale et culturelle. La tradition d’un état d’esprit. Avec une certaine forme de logique, d’ouverture et d’accueil, de générosité. Cela me plaît bien plus que d’avoir été élevé dans les règles de la religion. Sirba, pour moi, c’est une façon d’être kosher. C’est la première fois que cette idée me vient à l’esprit mais c’est cela. »
Le répertoire du Sirba célèbre la vie et tous les évènements de la vie. Heureux ou moins heureux. Il y a la musique et l’énergie. C’est tout. « Sirba est un endroit où on est extrêmement généreux. La porte est grande ouverte. Cela se ressent aussi par l’attitude que nous adoptons sur scène. Nous jouons debout, avec des pupitres extrêmement bas. En fait, on joue sur scène comme dans les mariages. On fait la fête sur scène. Et quand on est triste, on en a les larmes aux yeux. »
La famille Sirba
Mes parents continuent d’exister à travers chaque concert du Sirba.
Richard Schmoucler

La famille Sirba. L’ensemble reprend sur scène bien des titres qui faisaient partie du répertoire familial. La chanson A Yiddishe Mame en est un premier exemple. « Ma mère me demandait de jouer cette chanson tout le temps. Quand sa mère est décédée, elle m’a demandée de la jouer. Cette chanson la faisait pleurer parce qu’elle lui rappelait sa mère. Désormais, à chaque fois que je la joue, je me revoie à chaque fois en train de la jouer pour ma mère qui pleurait parce que cela lui faisait penser à la sienne. »
Beaucoup d’autres titres ont la saveur des madeleines de Proust. « Le titre Oyfm Pripetshik, pour moi c’est vraiment la petite fille en rose de la Liste de Schindler. A chaque fois qu’on joue Tire l’aiguille, je réentends ma famille en train de chanter ça. Et puis Kalinka et tant d’autres, comme dans la plupart des familles ashkénazes qui ont survécu à la Shoah. »
Mais le Sirba ce n’est pas « Schmoucler et ses musiciens » ! En sa qualité de fondateur et de directeur artistique, le violoniste insuffle l’élan vital et un besoin permanent, pressant, de transmettre la culture qu’il a reçue, tout en mettant en valeur les talents de chacun. « Dans le passé, mon second violon était un grand tanguero. Certains arrangements étaient prévus tout spécialement pour lui. Actuellement, le pianiste excelle dans l’improvisation jazz. Je prévois donc des moments afin qu’il puisse s’exprimer, sur de la musique traditionnelle d’Europe de l’Est mais en jazz. » Cette volonté de mettre les talents de chacun en valeur est aussi l’une des recettes de ce « quelque chose » qu’est le Sirba.
Des musiciens tous en Sirba
Les talents de chacun. Ou bien, aussi, le talent en chacun. Chaque musicien de l’ensemble est un artiste immense qui s’approprie le répertoire et vit cette musique de l’intérieur. En Sirba, on joue à chaque fois, comme si c’était la première fois. Et pourtant, de première fois, il n’est guère question. Laurent Manaud-Pallas (second violon), Grégoire Vecchioni (alto), Claude Giron (violoncelle), Bernard Cazauran (contrebasse), Philippe Berrod (clarinette), Christophe Henry (piano) et Iuri Moral (cymbalum) poursuivent tous une brillante carrière de musicien au sein des plus beaux orchestres de France. Le Sirba est une histoire de famille en soi. Chaque artiste qui le compose porte un répertoire ancestral dans un état d’esprit de communion qui s’entend sous chaque note.
Un art vivant de la perpétuation
Nous vous avions promis une histoire. Longue histoire que celle de cette musique de l’Europe de l’Est. Personnelle histoire que celle de Richard Schmoucler et de son ensemble Sirba. Histoires de fête sur scène et de communion d’un ensemble avec le public. Histoire d’écriture et de créativité autour d’une musique de tradition orale. Lui, dont l’arrière grand-père était ‘Hazan, cantor à la synagogue, envisage avec sérénité le passage de relais. « Quand nous sentirons que Sirba est à sa fin, nous éditerons nos partitions pour qu’elles puissent être jouées. Des versions plus simples, sans cymbalum par exemple. Les étudiants pourront jouer aussi ces titres du Sirba. » La tradition familiale sera donc transmise. Et avec elle, un art vivant de la perpétuation.
Extrait
Les concerts à venir du Sirba
Ils seront, par exemple, les 27, 28 et 29 novembre 2020 à La Scala, Paris
Le site internet du Sirba Octet
Les photographies de cette publication ont été prises par Bernard Martinez et Edouard Brane.
Vous aimerez aussi…
Nos publications récentes
- Quand Isabelle et Guy du Saillant créaient le Festival de la Vézère
- Bagatelle de guitares à ne pas manquer !
- Louis-Noël Bestion de Camboulas : Fameux ou méconnu : comment partager avec le public le répertoire ?
- Chantilly : Superbe délicatesse joyeuse de Leonardo Garcia Alarcón
- Sous les mots clés de Mathieu Romano
4 commentaires
Les commentaires sont fermés.