Ce sont des esprits supérieurs, nous sommes petits.

esprits supérieurs

« Ce sont des esprits supérieurs ». Nous évoquons là un moyenâgeux dont nous fêterons, en 2021, les 500 ans de la mort et qui absorbe le compositeur et chanteur Maurice Bourbon depuis cinquante ans. 

Qu’est-ce qu’un esprit supérieur ? Bien des réponses seraient acceptables. Encore que la définition a évolué au gré des évolutions et circonvolutions des époques et évoluera encore. Peut-être existe-t-il une constante, à tout le moins. Nous parlerons donc ici de gourmandise intellectuelle, de curiosité insatiable, de volonté farouche et inassouvie de construction. 

Nous voici installés dans l’antichambre de Josquin Desprez. Prêts à rencontrer, le temps d’un disque, un compositeur-bâtisseur, dans les années 1480 – 1500. L’un de ces « esprits supérieurs » qui a suscité l’admiration d’un musicien pendant presque toute sa vie.

Cinquante années de conversation

Tout a commencé il y a cinquante ans. Un extrait de la Missa Pange Lingua qu’un jeune choriste découvre. A l’époque, il trouve cela bien. Quand on est jeune…. Maurice Bourbon grandit. Il devient ingénieur, chercheur au CNRS, et docteur en paléo-géographie. Avec le temps, il devient chanteur professionnel et chef de choeur.

Il devient peu à peu chanteur professionel. Restent le sens de la démarche et la méthode scientifiques qu’il met au service de l’analyse de la musique de Josquin Desprez. « J’ai été captivé par l’extraordinaire intelligence de Josquin qu’il déploie dans des constructions mathématiques et géométriques. Ce représentant de la musique franco-flamande s’inspirait des règles usuelles autour du canon pour s’imposer des contraintes extrêmement sophistiquées. Chez lui, les jeux sont géométriques et les proportions mathématiques. Pour moi qui avais, au départ, une formation mathématique au départ, le personnage est devenu captivant. »

Le grand art de Josquin, c’est de s’amuser de toutes ces choses-là

L’esprit supérieur de Josquin.

Voilà un homme d’une intelligence foudroyante. Etre libre ne l’intéressait pas. Ce qu’il voulait, c’est jouer et construire. Il était un bâtisseur, brillant et joueur.

Maurice Bourbon

Comparant la musique de Josquin à une cathédrale construite en 1500, Maurice Bourbon continue. « Prenez une cathédrale de 1500, l’époque de Josquin. Il y a beaucoup de volumes qui se construisent, s’entrecroisent et se superposent. On part de la chose la plus infime comme le visage d’un moine figuré sur une stalle pour terminer avec le volume final et immense de la cathédrale. Nous avons tout un jeu de thèmes qui s’imbriquent avec des volumes qui ensuite « s’engrainent » et s’agglomèrent pour donner à la fin l’oeuvre dans son entièreté. Bien sûr, l’auditeur entendra très facilement des jeux comme, par exemple, les réponses en canon. Mais il existe des jeux beaucoup plus complexes à entendre car le grand art de Josquin, c’est de s’amuser à toutes ces choses là de façon extrêmement subtile. Tout comme un seul arceau pouvait, au sens strict, faire tenir la cathédrale. »

Cet esprit supérieur s’amuse de jeux géométriques et de proportions mathématiques

De la symétrie des voix

Maurice Bourbon est visiblement admiratif. Il nous livre quelques exemples éclairants. Voici qu’il évoque un Agnus Dei de la Messe de l’homme armé Sexti toni. « Dans cette messe, il y a deux tenors deux basses. Les tenors sont des voix qui sont en valeurs longues et qui traversent l’oeuvre. Autour de ces voix, d’autres voix évoluent et sont beaucoup plus volubiles que la voix qui constitue la charpente de l’oeuvre. Dans cet Agnus Dei, une voix commence puis à un certain moment, il y a une mesure de silence. Derrière cette mesure de silence, Josquin reprend le thème à l’envers pour retrouver la note de départ. Et en même temps, puisqu’il y a deux teneurs de basses, il fait la même chose avec une autre voix. Nous avons ainsi une symétrie des deux voix qui sont espacées, se rejoignent et sont à nouveau espacées. Tout cela fonctionne comme en miroir. »

Ce sont des esprits supérieurs. N’oublions pas que nous sommes petits.

Maurice Bourbon

Aux jeux parodiques

Josquin a inventé une manière de faire, tout en étant représentatif de son époque. Partagé entre la matière sérieuse d’une musique franco-flamande toute académique dans laquelle la passion et les sentiments humains n’ont pas place et un certain goût pour la parodie et l’humour, le compositeur s’amuse.

Prenons l’exemple de la Missa Hercules Dux Ferrariae. « Cette messe a été écrite soit pour le Duc Hercule de Ferrare, soit pour espérer une subvention de l’époque, car on ne sait trop s’il était rémunéré ou s’il l’espérait. En tout cas, il s’amuse en associant des notes aux syllabes de Hercules Dux Ferrariae. Ce jeu devient un thème à qui il fait adopter différentes proportions. On peut dire alors que les jeux parodiques sur cette messe sont infinis. Je ne sais pas s’il s’agit d’humour véritablement, mais la démonstration de son savoir faire est complète grâce à ces jeux parodiques. Ce sont des esprits supérieurs. N’oublions pas que nous sommes petits. »

Nous avons initié cette rencontre en évoquant les esprits supérieurs. Ceux dont les manifestations d’intelligence sont capables d’absorber un ingénieur de formation pendant une cinquantaine d’années. Cinq cent ans séparent Josquin Desprez et Maurice Bourbon, et pourtant la conversation entre ces deux-là continue. Fascinants pouvoirs de l’esprit.

Josquin l’européen : A Milan et ailleurs

esprits supérieurs

Ce disque est le huitième volume d’une intégrale bientôt achevée des 18 messes de Josquin Desprez authentifiées. Il propose ici les Messes Ave maris stella et D’ung aultre amer mises en dialogue et en perspective avec d’autres textes et musiques, dont des compositions écrites par Maurice Bourbon. L’ensemble est équilibré, harmonieux et plein de sens.

Enregistré par les deux ensembles Biscantor ! et Métamorphoses, dirigés par Juliette de Massy, cet opus retrace le passage de Josquin Desprez à Milan et peut-être à Ferrare. Le livret, écrit par le musicologue de la Renaissance Jacques Barbier, est riche, précis et d’une grande pédagogie.


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