
Jean-Yves Clément est homme de musique et de lettres. En lui, un amour inconditionnel et profond pour la musique de Frédéric Chopin. Ses ouvrages écrits au poinçon de ceux qui cisèlent les mots sont ceux d’un amoureux éperdu. A déposer aussi délicatement sur le papier tout ce que Chopin n’avait su exprimer que sur la partition, on se met à rêver. Chopin, compositeur très peu littéraire, aurait-il rencontré la plume que même George Sand n’avait su lui prêter ?
Jean-Yves Clément a publié en 2010 deux immenses ouvrages qu’on pourrait outrageusement simplifier et réduire à une quête de l’âme de Chopin : Les deux Ames de Frédéric Chopin et les Nuits de l’âme. Il livre, en 2020, Le retour de Majorque – Journal de Frédéric Chopin et signe là le maillon manquant du roman personnel d’un couple d’artistes partis à Majorque vivre pleinement le fantastique, se libérant ainsi du joug d’une vie parisienne tout juste troublée. Nous avions lu Un hiver à Majorque de George Sand. Voici donc Le retour de Majorque. Enfin.
L’écriture nouvelle de Chopin magnifiée par l’audace stylistique et formelle de l’écrivain Jean-Yves Clément
Ce livre-là, George ne peut pas l’écrire à ma place. Toute ma vie enfermée en vingt-quatre chapitre. Mon calvaire… Mes bonheurs et mes sensations aussi. Comme une vie entière recomposée.
Le Retour de Majorque, Jean-Yves Clément
Le retour de Majorque – Journal de Frédéric Chopin, publié aux éditions Pierre Guillaume de Roux, pourrait susciter chez certains critiques une question des plus fâcheuses et difficiles. A quel genre répondrait, en effet, ce journal fictif qui ne revêt finalement presque rien de fictif tant il est juste en tout ? Nous pourrions opposer la fameuse boutade de Voltaire : « Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux. » Ce livre est prenant. Voilà une bonne chose. Peu importe le genre, pourvu que le lecteur y trouve le prétexte idoine à l’évasion.


Le « roman » des Préludes
Cet ouvrage peut bien être un roman ou un journal fictif résolument peu fictif. Ou même un crime littéraire infligé à un musicien qui n’était pas homme de littérature. Le retour de Majorque – Journal de Frédéric Chopin est une invitation à entrer par les mots dans un monument musical. Pas une invitation à trouver des explications d’ordre musicologique et historique aux 24 Préludes. Mais une prière à ressentir, dans l’écriture et le style concis et ciselé de Jean-Yves Clément, la forme elliptique et aphoristique des 24 Préludes.
Le Retour de Majorque exprime aussi à la perfection combien ces 24 Préludes sont un « tout inséparable » et non pas un « je ne sais quel type de compilation ». Aucune autre forme littéraire que le journal intime (même fictif) ne pouvait mieux exprimer l’idée. Frédéric Chopin n’était pas homme de lettres. Mais il « écrit » le journal de 24 états d’âme transmués en 24 Préludes sous la plume amoureuse de l’écrivain Jean-Yves Clément. Un seul geste de musique donc. Et un retour vers soi du musicien comme du narrateur, écrit d’une seule voix.
Un retour vers soi, une matinée chez…..


Le Retour de Majorque donne avec justesse la parole à un musicien de l’intimité. George Sand livre, de son côté, Un hiver à Majorque dont l’écriture à première lecture répond aux critères formels et stylistiques du récit de voyage. A deux nuances près toutefois. La présence du fantasmagorique instille à certaines pages un soupçon d’extraordinaire bienvenu et presque étourdissant. Tandis que sous chaque page, git intacte le désir exprimé par l’écrivain de se retrouver seule avec elle-même. Si Frédéric Chopin a inventé avec ses Préludes un geste artistique propre à toucher au plus près les contorsions de son âme, George Sand semble plier à la tentation du voyage pour mieux affirmer la nécessité impérieuse du retour à soi.
George que le peintre viennois Josef Danhauser place au centre de son tableau Une matinée chez Liszt en 1840. Elle écoute le génial Liszt, assise en pantalon et cigarette à la main. George Sand, c’est l’écriture et la musique avant toute chose. Chopin, c’était la musique. Avec Le Retour de Majorque de Jean-Yves Clément, les 24 Préludes sont le prétexte d’une belle matinée, toute de mots et notes mêlées. Enfin.
C’est qu’il ne s’agit pas tant de voyager que de partir. Quel est celui de nous qui n’a pas quelque douleur à extraire ou quelque joug à secouer ?
George Sand, Un hiver à Majorque, notice.



Photographie ci-dessus : Valdemossa, Majorque : (c) Pixabay
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