
Roberto Alagna et son dictionnaire intime, paru aux éditions Le Passeur, dans la collection En toute liberté (il est bon de le souligner) auraient pu succomber, tout ensemble, aux écueils terribles de l’exercice. Amour inconditionnel de soi et conscience aigüe de la renommée auraient pu faire de ce livre un non-sens éditorial. Il n’en est rien. Ce livre écrit par l’artiste lui-même (soulignons ici encore l’assertion), est une leçon d’amour des mots et du travail, acharné et méticuleux.
Comment l’artiste a-t-il travaillé ? Comment définit-il son style ? Quelles étaient ses aspirations ? Roberto Alagna a répondu à nos questions avec le même naturel que celui qui l’a animé lors de ses moments d’écriture.
Artiste
« Etre artiste c’est être quelqu’un qui, pour transmettre une émotion, une idée, un message, va utiliser tous les moyens possibles pour transformer cette émotion en langage et la partager avec le plus grand nombre. Ce qui n’est pas si aisé. Il faut, d’abord, se connaître soi-même, développer cette émotion ou cette idée pour faire naître ce geste qui permet d’offrir et de s’offrir à l’autre. Etre artiste c’est être différent, c’est posséder une sensibilité hors du commun, c’est se dépasser pour aller toujours plus loin, c’est privilégier toujours le coeur à l’intelligence. Etre artiste c’est entrer en vibration avec l’univers pour en partager le rayonnement. Etre artiste ça ne s’apprend pas : on naît artiste, on est artiste. On ne fabrique pas un artiste : c’est la nature qui le décide. Etre artiste c’est recevoir la grâce comme un cadeau du ciel et faire équipe avec le Créateur. »
Les mots choisis de Roberto Alagna
Première question, première tentative. Manquée. Et c’est un sacré signe. Nous évoquons avec Roberto Alagna sa remarquable définition du mot « Artiste » et les commentaires très lucides qu’il attache au mot « Chance ». Roberto Alagna passe son tour. Nous lui reposons la question sous un autre angle. Est-il attaché à certaines mots plutôt qu’à d’autres ? L’artiste s’anime. « En fait, tous les mots qui figurent dans ce dictionnaire ont été choisis par moi. » Entendez, tous les mots sont importants.
Il continue et dévoile son état d’esprit. « Même pour les lettres difficiles comme W, Q et Z, c’est moi qui les ai choisis. » Ah…. Z. Voici Roberto qui s’ouvre complètement et livre l’intention première et essentielle du livre. « A la lettre Z, j’ai trouvé le Zorro. » Il rit et s’amuse encore de la trouvaille. En ne commentant pas le mot artiste (qu’il a si bien défini pourtant) pour mieux s’emparer de Zorro, Roberto Alagna revendique sa liberté d’écrivain et sa parole d’artiste. Les mots qu’il a choisi permettent donc de le rencontrer, lui en tant qu’artiste et homme.
Une voix derrière les mots
Le ténor a souvent raconté les circonstances d’écriture de son livre. Deux étés et trois jours intensifs et fulgurants, les derniers, pour rendre à l’éditeur le manuscrit à l’heure promise. Vous saurez donc tout ou presque en lisant la définition attachée au mot « Piscine ». « C’est depuis cet endroit que je rédige à ce moment précis les définitions des différents mots de ce Dictionnaire intime. Dans ce lieu propice à la relaxation, au bien-être, au plaisir, on pourrait aisément se méprendre sur l’effort que demandent ces exercices de style. (….). »
Complétons. Quiconque lira ce dictionnaire y entendra Roberto Alagna parler. Il y a, dans ce style, quelque chose de naturel, de construit-déconstruit empreint d’une oralité très belle. L’artiste explique. « J’ai tout enregistré car je voulais entendre ma voix. Je voulais que ceux qui auraient mon livre entre les mains et en liraient les définitions, entendent ma voix. Donc, en réalité, j’ai tout enregistré et ce livre, je l’ai aussi en audio. »
Le style Alagna c’est une voix qu’on entend derrière les mots, une ligne claire et précise du discours tenu, une immédiateté du message. Roberto Alagna ne revendique peut-être pas le statut d’écrivain mais il a une idée très précise du style qu’il souhaite travailler. Ecrivain, il est… « Je voulais être très proche du langage parlé et surtout qu’on m’entende. Qu’on entende mon humour et ma façon de parler. » Cela se travaille, plume à la main. Ce qu’il a fait, mot après mot.
Un artiste qui aime raconter

Il a toujours beaucoup lu. « Depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours lu et parce que je suis bon public, j’ai lu tous les genres. J’aime tout ! Il y a quelques années, j’emmenais toujours avec moi en voyage une trentaine de livres. Si je partais un mois, j’avais des piles de livres. Aujourd’hui, je le fais moins. Les temps ont changé et c’est dommage. Mais il faut dire aussi que je suis très pris par ma vie privée et l’école des enfants. ».
Mais écrire ? « En réalité, j’ai toujours aimé écrire. A l’école, la maîtresse lisait souvent mes rédactions parce qu’il y avait toujours quelque chose d’intéressant dans ma façon de raconter l’histoire. J’ai toujours aimé raconter, améliorer la réalité, la rendre plus romantique, plus romancée ou plus romanesque. » On savoure la définition du mot « Bastille (Opéra) ». Nous n’en dirons pas davantage ici, sauf à reproduire sa chute savoureuse : « A une autre époque, cette histoire aurait pu mal tourner pour moi. On aurait alors écrit : « Ce fameux ténor qui termina sa vie embastillé pour avoir…. mangé une banane ! »
C’est un style qui est oral, simple et efficace. Clair ! Je n’y vais pas par quatre chemins.
Roberto Alagna, Février 2021
Un style personnel ? Une plume à découvrir
Roberto Alagna évoque Alexandre Pouchkine et Giovanni Verga. « Je suis influencé par ces écrivains. Bien sûr, je ne dis pas que je suis Pouchkine ! Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il n’y a rien en trop. Au contraire de Balzac. Chez Verga, c’est la même chose. J’aime la clarté. J’ai presque envie de dire que j’aime la fulgurance. Ainsi, j’aime que le sujet soit profond mais pas qu’il devienne lourd. » Sa définition du mot « Avenir » est un parfait condensé, un exemple (mais pas unique) de la recherche de la clarté chez Roberto Alagna. Mais il n’est pas tant question chez lui de concision du texte que de la maturation d’une philosophie de vie. Chez Roberto Alagna, le style n’est que la coquetterie d’une vraie maturité.
Dans ce Dictionnaire Intime, l’homme de scène qui aime tant raconter, romancer et enjoliver, n’oublie jamais le pouvoir de la légèreté. Donner du plaisir ? ll y aura passé une immense partie de sa carrière d’artiste et de sa vie d’homme et de père. Son dictionnaire intime sait emmener le lecteur et capter son attention. Il suscite le sourire en bien des occurrences. Roberto Alagna sait raconter et a le sens de la chute. Bienheureux Roberto Alagna dont les genoux, cette fois, n’en souffriront nullement. Précieux Roberto dont le talent d’écriture nous a ici été livré sans que quiconque n’impose un quelconque filtre.