
Emmanuelle Bertrand parle avec une admiration difficilement contenue. « Marie Jaëll avait de très nombreuses facettes. Il y avait en elle quelque chose d’incandescent. » Marie Jaëll est née en Alsace en 1846. Pianiste adulée par César Franck, Camille Saint-Saëns ou encore Gabriel Fauré, elle ne l’était pas moins par Franz Liszt pour son talent de compositrice. Les propos de ce dernier tenteraient bien des commentateurs contemporains : « Un nom d’homme sur votre musique et elle serait sur tous les pupitres. » Chaque époque reconnaît plus ou moins rapidement ses ambassadeurs et ambassadrices.
Les années ont passé, plongeant dans l’oubli la musique d’une artiste hors du commun. Viennent les musicologues et le temps de la recherche. Long mais juste. Voici le Palazetto Bru Zane qui publie aussi il y a quelques années certaines partitions de Marie Jaëll. Puis Emmanuelle Bertrand et l’Orchestre National de Bretagne, dirigé par David Molard Soriano, qui donnent rendez-vous au public le 6 mars 2021. Au programme, le premier mouvement du Concerto pour violoncelle de Marie Jaëll.
Emmanuelle Bertrand : « J’avais envie de faire vivre ce concerto »
Emmanuelle Bertrand raconte. « J’avais la partition depuis quelques années grâce au Palazzetto Bru Zane qui fait un remarquable travail de mise en lumière et d’édition du répertoire romantique français. Il y a deux ou trois ans, ma soeur musicologue, Florence Badol-Bertrand, évoque ce concerto de Marie Jaëll. « Je crois qu’il en vaut vraiment la peine », disait-elle. Et le jour où je me suis plongée dans sa lecture, j’ai compris à quel point il est magnifique. Après une première interprétation à Saint-Etienne, j’ai eu envie de le faire vivre. Et l’Orchestre National de Bretagne a ensuite manifesté un intérêt immédiat pour le projet. »

Faire vivre ce concerto. Pourquoi ? « J’ai été appelée par cette musique et la pièce en elle-même. Marie Jaëll était une très grande pianiste et on le ressent dans sa manière d’écrire les passages les plus véloces de ce concerto. Je ne parle pas volontairement ici de virtuosité mais de vélocité parce qu’elle n’écrit pas par fierté ou pour en mettre plein la vue, si je peux me permettre l’expression. Son écriture est celle d’une vélocité, d’une digitalité très fine, inhabituelle dans le répertoire du violoncelle. Pour moi, dans certains passages, il y a là une écriture de clavier, qui, de manière extraordinaire, fonctionne très bien. A tel point que je me demande parfois en jouant cette écriture pourquoi elle n’a pas été utilisée davantage. »
D’autres passages, tout aussi magnifiques, chantent. « Oui, elle sait très bien faire chanter le violoncelle. Le concerto est lyrique et en même temps tumultueux. Marie Jaëll change d’idée de manière soudaine, elle développe peu de temps une idée… en fait, cela fourmille, sans cesse, excepté dans le mouvement lent qui prend le temps de se poser et de déclamer. » Ajoutons enfin une écriture très intime et proche de la musique de chambre.
Marie Jaëll, l’incandescente
Nous continuons notre échange avec Emmanuelle Bertrand. « Marie Jaëll était un personnage aux facettes multiples. Elle portait en elle quelque chose d’incandescent. » Grande pianiste, compositrice de près d’une centaine d’opus, elle était pédagogue et théoricienne du piano. Aidée par le Professeur de médecine Charles Féré, elle a fait appel aux sciences neuro-psychologiques pour mieux connaître le potentiel de la main humaine.
(…) Voir toujours la tache inachevée, sentir l’âme inassouvie, brûlant d’un feu qui le dévore, et constater l’impuissance humaine à calmer cet embrasement intérieur, ce volcan qui bouillonne.
Marie Jaëll, extrait de sa correspondance
Marie Jaëll n’est pas seulement un esprit brillant comme le souligne Emmanuelle Bertrand. « J’ai été très frappée en lisant sa correspondance. Elle mettait beaucoup de soin à essayer de contenir la flamme et ressentait même une certaine angoisse. Qu’adviendrait-il si elle laissait libre cours à toutes ses idées ? Voici pourquoi sa musique me semble si belle. Elle est intense. Il y a quelque chose de brûlant, d’incandescent. De vivant et d’urgent aussi. Je pense qu’il y avait là quelque chose qui la dévorait et qui l’a sans doute aidée aussi à surmonter bien des entraves. »Marie Jaëll était une pianiste interprète adulée. Son oeuvre, dont le concerto pour violoncelle, a pourtant été oubliée.
Interpréter une oeuvre surgie du passé
Marie Jaëll aurait pu faire une carrière brillante en tant que compositrice. Toutefois, la société d’alors n’était pas prête pour l’accepter. Quel est alors le rôle de l’interprète qui s’empare d’une partition oubliée ? « Il me semble que remettre les choses dans l’ordre dans lequel la musique de Marie Jaëll mérite d’être est un très bel enjeu. Pascal Amoyel et moi-même avons adopté la même démarche avec la sonate pour violoncelle et piano d’Alkan. Alkan est un immense compositeur encore très peu joué. Voilà une oeuvre qui surgit du passé et pour laquelle nous n’avons pas beaucoup de références. Il s’agit alors pour l’interprète de prendre rendez-vous avec lui-même. L’occasion de mesurer comment il perçoit les choses sans les références et tout ce qui a pu le nourrir. » Immense travail de nos artistes contemporains qui travaillent à la préservation d’un répertoire précieux.
Rendez-vous avec Marie Jaëll, Emmanuelle Bertrand et l’Orchestre National de Bretagne
Cliquez sur l’image ci-dessous pour accéder à l’enregistrement du premier mouvement de la Sonate pour violoncelle et orchestre de Marie Jaëll.
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