
Le premier album de Philippe Jaroussky et de l’Ensemble Artaserse est à nouveau disponible. Qu’est-ce-à dire ? Le tout premier disque de l’artiste, sorti en 2002, vient d’être réédité au label La Musica. En soi, l’annonce pourrait ne s’adresser qu’aux très nombreux admirateurs du contre-ténor. Les choses sont toutefois plus subtiles. La réédition d’un premier disque est aussi un exercice savoureux qui permet à l’artiste de se replonger dans ses motivations premières et de les confronter à sa pratique du métier. Dix-neuf ans plus tard, on dit et on vit les choses quelque peu différemment. Le feu sacré, lui, est bien là.
Philippe Jaroussky était et reste passionné de la recherche musicologique
Philippe Jaroussky a commencé le chant à l’âge de dix-huit ans. Pianiste et violoniste, il s’intéressait alors beaucoup à la musique romantique et à la musique russe du vingtième siècle. « Quand j’avais dix-sept ans, j’étais fan de Shostakovich et j »écoutais Brahms. Le peu de choses que je savais du baroque, c’était les Quatre Saisons et les concertos de Bach. » Il rit et soudainement, pose sa voix. « Et puis j’ai découvert cette voix, je dirais presque par hasard. » Tout s’est alors enchaîné.
Après un an de cours de chant, le voici entré au CRR de Paris en chant baroque. A vingt ans, il participe au stage de Gérard Lesne à Royaumont. Et puis Jean-Claude Malgoire, qui l’écoute et l’engage de suite pour trois opéras de Monteverdi. « Entre Ferrari et Monteverdi, il existe un vrai lien. J’ai découvert tout ce premier baroque et cela a été le plus grand choc, une des plus grandes découvertes de ma jeunesse. » Il se passionne et emmène la recherche musicologique au coeur de sa vie d’étudiant.
Philippe Jaroussky prend le chemin des bibliothèques. Le jeune artiste est sérieux. « Quand on est jeune, on est très sérieux. Evidemment, la musique est quelque chose de très sérieux mais tout de même. En ce qui me concerne, j’ai développé très vite une passion pour la recherche musicologique après avoir découvert avec émerveillement la Bibliothèque Nationale. » De nombreux après-midi passés là-bas. Et le voici à recopier, à la main, l’édition des Musiche Varie de Benedetto Ferrari.
Dix-neuf ans plus tard, l’artiste redécouvre les documents à l’occasion d’un déménagement. « Ces livres des Musiche Varie, je les ai chéris. Je viens de déménager et comme je suis un tout petit peu désordonné avec ces partitions que je ne range pas par ordre alphabétique, je viens seulement de retrouver l’édition du manuscrit. On sent qu’elle a beaucoup vécu, les pages ont été beaucoup tournées et puis j’ai retrouvé les photocopies et le matériel du disque que j’avais recopié moi-même, en entier, à la main. Même pas à l’ordinateur ! Je me suis rendu compte à quel point j’avais travaillé sur ce projet. »
Il souhaitait alors convaincre de la qualité de cette musique … mais il sait aussi désormais la valeur de sa propre sensibilité

Ces oeuvres doivent pouvoir émouvoir le public actuel. Quitte peut-être à se diriger vers une interprétation qui ne serait pas tout à fait celle qu’on aurait adoptée à l’époque.
Philippe Jaroussky
Le contre-ténor continue. Toujours plongé dans ses souvenirs. « Ce premier disque est important car il montre un peu ce que je suis. Cette voix très claire et très lumineuse qui chante avec plus d’instinct qu’autre chose. J’étais en effet très jeune. Mais on sent bien cette volonté de défendre un répertoire très exigeant sur le texte. Bien sûr, quand je me réécoute, j’aurais évidemment envie de faire autrement. Mais en même temps, je trouve le résultat très charmant et très frais. Je crois que c’est ce qui a plu. »
Cet enregistrement a permis à l’artiste de se faire connaître et a été applaudi par la critique. Très rapidement, voici Virgin (l’actuel Warner) qui propose un contrat. Reste toutefois l’essentiel. Philippe Jaroussky garde ancrée en lui, et pour chacun de ses projets, la volonté de maintenir l’exigence. « A mon sens, il se dégage de cet enregistrement, malgré certaines maladresses, malgré un italien tout à fait perfectible, une force. Comme une volonté de convaincre. C’est là quelque chose que j’ai toujours en moi pour beaucoup de mes disques. J’essaie de mettre en valeur, le plus possible, la musique, jusqu’à parfois m’effacer. »
Dix-neuf années ont passé. L’artiste est en répétition à l’Opéra de Lausanne pour un Rinaldo de Haendel qui l’éblouit. « J’écoutais le premier acte de Rinaldo qui est un chef d’oeuvre absolu. Aucun morceau n’est à enlever. Parfois, j’étais alors assumé par tant de musique géniale. Je pense que nous, interprètes, de temps en temps, devons nous mettre à genoux devant les compositeurs. Au départ, il y a reconnaissance, admiration et Amour porté au compositeur. Puis, comprendre aussi que ce compositeur vit à travers les artistes et les interprètes. A partir du moment où on s’est mis à genoux, il ne faut pas non plus hésiter à apporter sa touche personnelle et sa sensibilité à l’oeuvre ».
Le feu sacré, pour émouvoir le public actuel
De l’insouciance des débuts, Philippe Jaroussky n’est pas nostalgique. Un premier disque est un long chemin, parfois difficile. Le contre-ténor se souvient et avoue avoir vécu l’enregistrement comme une lutte. « Je n’étais pas encore habitué à chanter trois, quatre ou même cinq heures par jour. Je manquais d’endurance et de technique. Cela n’a pas été douloureux, mais on peut dire que cela a été une épreuve. » L’artiste relève aussi que la période du premier disque est, pour le jeune artiste, anxiogène. « On ne sait pas quelle carrière on aura, et si même il y en aura une. Les choses commençaient très fort pour moi mais elles auraient pu s’arrêter aussi vite qu’elles avaient commencé. »
Dix-neuf ans après la sortie de ce premier album, l’artiste ne regrette donc aucunement les débuts et savoure même un état d’apaisement. « Les choses se sont posées. Mais, j’ai l’impression d’avoir gardé une partie de cette personne d’il y a dix-neuf ans. Ce feu sacré, cette envie de transmettre la musique coûte que coûte. Que je chante, ou que je dirige, ce feu sacré, je le crois, existe encore. »
Rendre au justice au compositeur, transmettre coûte que coûte. Toutefois, Philippe Jaroussky nuance. « Avec le temps, ma conception des choses a évolué. Il faut évidemment avoir une exigence musicologique. Au fil des concerts, on se rend compte qu’on chante les oeuvres devant un public du 20ème et du 21ème siècles. On est donc connecté avec le passé, mais aussi avec le présent. Je suis convaincu que ces oeuvres doivent à tout prix émouvoir le public actuel. Quitte parfois à se diriger vers une interprétation qui n’est pas exactement celle qui aurait été choisie à l’époque. »
Dix-neuf ans plus tard, un très beau disque est donc à nouveau disponible. L’occasion de découvrir Benedetto Ferrari peut-être. D’apprendre aussi, aux côtés d’un grand artiste que le temps adoucit les exigences de la jeunesse. Le jeune artiste, féru de musicologie, s’est mué en un interprète qui a s’est en quelque sorte adouci, pour mieux communiquer son amour de la musique au public actuel.
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