
Nous célébrons cette semaine la sortie chez Aparté d’une intégrale des oeuvres pour violon et piano de Maurice Ravel par Elsa Grether et David Lively. Ce duo de caractère interprète avec finesse les oeuvres pour violon et piano de Maurice Ravel, avec deux premières mondiales : un arrangement de Gustave Samazeuilh de l’Adagio assai du Concerto pour piano, et une transcription d’André Asselin du malicieux Five o’Clock Foxtrot tiré de L’Enfant et les Sortilèges. Ravel décrétait en 1928 que que violon et piano sont des instruments “essentiellement incompatibles”. C’était sans compter sur l’intense complémentarité d’Elsa Grether au violon et de David Lively au piano.
Pourquoi et dans quelles circonstances avez-vous créé votre duo ?
Elsa Grether : Nous nous sommes rencontrés lors du Festival Clef de Soleil à Lille il y a plusieurs années. Denis Simandy, le directeur artistique, invite en général des musiciens qui ne se connaissent pas à jouer ensemble. Nous avons d’abord donné un programme Franck et Saint-Saëns, puis Ravel, Prokofiev, Copland… Il y avait tout de suite quelque chose de très naturel, une évidence et une belle énergie. Nous avons ensuite décidé d’enregistrer ensemble un disque consacré à Prokofiev, puis cette intégrale Ravel.
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Vous travaillez ensemble depuis quelques temps déjà. Avez-vous une routine de travail ? Comment communiquez-vous entre vous ?
Elsa Grether : Nous travaillons bien ensemble, ni trop ni trop peu. Pas de routine de travail, c’est au gré des concerts, des enregistrements, des projets.
Il a toujours beaucoup de respect de l’autre dans notre travail et une belle fluidité. En général, nous jouons et parlons assez peu. C’est toujours dense. Nous essayons d’être très concentrés et efficaces, on discute des points à retravailler. Il est important de venir chacun avec des idées, une vision et de les mettre en commun, d’enrichir son discours de celui de l’autre. Une interprétation évolue sans cesse et requiert du temps pour mûrir.
Pourquoi cette intégrale des oeuvres pour violon et piano de RAVEL ? Qui en a eu l’idée ? Comment avez-vous travaillé ?
Elsa Grether : J’ai proposé à David d’enregistrer Ravel ensemble car nous aimons tous deux profondément la musique de ce compositeur. David est même venu en France à l’âge de 16 ans pour y étudier la musique de Ravel. Il dit de lui: « Si un seul compositeur me faisait rêver de la France lorsque j’étais encore au lycée aux Etats-Unis, c’était bien Maurice Ravel. Ma tendresse pour lui ne m’a jamais quitté. Sa capacité à enchanter notre monde ne cesse de m’émouvoir« .
Pour ma part, il me semble que l’oeuvre de Ravel s’adresse à l’âme tel un ami intime. S’immerger dans sa musique est un voyage intérieur, un retour à soi-même. J’ai eu l’envie et le besoin de l’enregistrer après cette période particulièrement sombre que nous avons tous vécue, car elle est baignée de lumière. Elle est intensément poétique, d’une émotion à fleur de peau, mais toujours pudique, élégante, pleine de mystère aussi et dont la saveur des harmonies est reconnaissable entre toutes.
Nous avions, avec David, joué à plusieurs reprises la Sonate en Sol et Tzigane. J’avais adoré sa manière de jouer, cette évidence, cet engagement, cette fluidité, son immense palette de couleurs et de timbres et à la fois l’imagination sonore et la rigueur rythmique. Nous avons réfléchi ensemble au programme du disque et pensions d’abord coupler l’oeuvre de Ravel avec un autre compositeur. Mais les idées évoluent, l’élaboration d’un disque est en général assez longue, du « germe » du projet jusqu’au disque.
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Qu’en est-il des transcriptions et des arrangements avec lesquels vous avez travaillé ?
David a vu qu’il existait des transcriptions et arrangements. Je les ai cherchés et nous les avons déchiffrés ensemble. L’arrangement de l’Adagio du Concerto en Sol par Gustave Samazeuilh nous a convaincus de suite, car même en format minimaliste, pour violon et piano, il restitue merveilleusement la pureté de la ligne, la faisant passer tour à tour d’un instrument à l’autre. Cela demande beaucoup d’imagination sonore car les instruments doivent se transformer en d’autres de l’orchestre : flûte, hautbois, cor anglais… – comme par exemple dans le Blues de la Sonate en Sol, où le violon doit tour à tour devenir banjo, saxophone, le piano percussion…. La transcription du 5 O’Clock Fox-trot de l’Enfant et les Sortilèges par André Asselin nous a également d’emblée séduits.
Où se sont posées les questions d’interprétation ?
Elsa Grether : Ravel est multiple, inclassable. Il était ouvert sur le monde qui l’entourait et a puisé son inspiration dans de multiples influences : de la musique espagnole à la musique judaïque, du jazz au blues, au Fox-trot… Ravel a toujours su traduire ces influences dans son propre langage et les styliser. Il faut être un peu caméléon pour rendre chaque oeuvre. Chaque pièce est un monde à part.
Dans le 1er Mouvement de la Sonate en Sol, dans la Sonate posthume et l’Adagio, l’un des défis est également de tenir la longueur de la ligne, le souffle qui la parcourt. Ravel est très précis dans ses indications, tant de caractère, que rythmique et dynamique (nuances)… Il faut vraiment chercher loin dans les nuances et encore plus au micro, qui capte le moindre souffle. Je trouve cela essentiel et passionnant. Aller du ppp quasi inaudible, évanescent, « sur un fil » jusqu’à l’explosion fff (Final- Perpetuum mobile de la Sonate en Sol, Tzigane…).
Ravel est un monde sonore en soi. Il dit beaucoup en peu de notes parfois, cherchant l’épure, surtout vers la fin de sa vie. Ce compositeur pousse à faire un travail de recherche de nuances et de timbres. Il enrichit constamment l’imagination sonore. Pour l’archet, je pense à mille couleurs, textures, à la manière d’un peintre, d’un calligraphe cursif.

Quel son avez-vous souhaiter proposer au public dans cet enregistrement ?
Il y a bien-sûr une importante discographie existante. On a parfois en tête de très beaux enregistrements certes, mais certains proposant un Ravel un peu plus fauréen de son, parfois même un peu gras, en particulier dans la Sonate Posthume, que Ravel a composée lorsqu’il était étudiant de Fauré. Or dans cette Sonate posthume, bien que recelant des influences de Fauré, Franck, le Ravel du futur est déjà présent.
Je pense que chez l’auditeur aussi, il faut être « ouvert d’oreille », s’ouvrir à de nouvelles propositions de timbres, qui soient denses et éthérés à la fois.
L’enregistrement a été très agréable, à Flagey Bruxelles. La prise de son a été faite par Nicolas Bartholomée, fondateur et directeur d’Aparté, que je remercie, assisté de Paul Giroux. Un enregistrement est toujours éreintant, mais tout s’est fait dans la bonne humeur et l’envie de se dépasser.
Après Prokofiev, Ravel. Des voix singulières, personnelles et novatrices. Comment s’est fait le passage d’un disque à l’autre dans votre esprit ?
Elsa Grether : Deux voix singulières et très contrastées. Nous essayons à chaque fois de nous immerger dans l’oeuvre du compositeur, d’être le plus fidèles au texte possible pour ensuite en dégager un vision propre. Prokofiev est très physique à jouer, plus en chair, Ravel demande une autre forme d’intensité, pas moins dense. Une force moins brute, plus calibrée et profondément intime. Les deux demandent du lyrisme, une grande palette sonore et une grande motricité et vivacité rythmique. Ce n’est évident dans toutes les oeuvres, mais on disait, je crois, que Prokofiev était l’horloger suisse de la musique russe, Ravel de la musique française.
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