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A la rencontre de Laura et des Dames de Ferrare

Dames de Ferrare
Dames de Ferrare

La jeune harpiste Marie-Domitille Murez rend hommage à Laura et aux Dames de Ferrare dans un premier disque solo remarquable.

Une invitation à découvrir Laura Peverara, l’une des fameuses Dames de Ferrare. Artistes professionnelles, adulées à la Cour du duc Alfonso d’Este, celles-ci ont nourri les fantasmes et les désirs des invités privilégiés des concerts secrets.

Label Gemelli Factory.



Comment l’idée de ce disque Laura est-elle née ?

Marie-Domitille Murez : Enregistrer un disque solo n’est pas un exercice évident. Mais l’envie de partager un répertoire aussi magnifique, néanmoins méconnu, m’a encouragée à m’asseoir derrière les micros. Par ailleurs, il existe assez peu de disques consacrés à la harpe ancienne. De plus, le public n’est pas aussi familier avec la sonorité de mon instrument qu’avec celui de la harpe moderne, plus démocratisée aujourd’hui.

Le choix du répertoire est celui du cœur. J’ai découvert ces toccatas, ricercars, danses et autres pièces italiennes en même temps que la harpe ancienne. Venant de la harpe classique, c’était la première fois qu’une musique me semblait si adaptée à mon instrument. C’était comme une évidence, et la technique de jeu se met facilement au service de cette musique.

Certaine de ces pièces m’accompagnent dans ma vie de musicienne depuis déjà 10 ans. Pour d’autres ce sont des rencontres marquantes ou des projets nourrissants. Et puis il y a également l’envie d’aller plus loin dans mon jeu en adaptant à mon instrument des pièces de clavecin ou vocale. Et puis il a fallu occuper ces journées confinées à la maison. J’ai (enfin) eu le temps de lire toute une collection de recueils qui n’attendaient que d’être joués !

Laura Pevarara est-elle un personnage historique qui vous inspire ? De quelle manière ?

Marie-Domitille Murez : Lorsque j’ai découvert l’histoire de ces « Dames de Ferrare » et notamment celle de Laura, c’était le coup de foudre immédiat ! D’ailleurs, je lui ai même consacré mon Master au CNSMD sous l’angle de la figure féminine à la Renaissance. Plus j’en apprends à son sujet, et plus je suis fascinée par cette femme, son arrivée à la cour, et son statut obtenu uniquement grâce à ses talents de chanteuse et harpiste, à une époque où il était impensable qu’une femme se professionnalise dans l’art.

Marie-Domitille Murez : Chacune de ses apparitions marquait les esprits et séduisait les sens, et l’on venait de loin pour l’admirer. De plus, sa disparition mystérieuse, en même temps que celle du duché de Ferrare, laisse la place à l’imagination pour ceux qui comme moi adorent rêver et inventer des histoires ! Laura représente l’artiste talentueuse et puissante, dont le fantasme se propage à travers le temps, à l’image du lierre et du laurier qui se diffusent dans la végétation. Cela me plaît beaucoup d’imaginer le fantôme de cette muse caché dans la musique et arriver jusqu’à nos oreilles modernes.

L’atmosphère des concerts secrets des Dames de Ferrare est-elle une idée possible pour ramener le public dans les salles ?

Marie-Domitille Murez : Le concert secret des Dames était réservé à une élite choisie selon des critères complètement arbitraires, selon l’humeur de la Duchesse et du Duc. Même si le lieu – en l’occurrence les appartements privés du palais – ainsi qu’une audience très restreinte font rêver comme atmosphère de concert, surtout lorsqu’on pratique un instrument aussi discret que le mien, je préfère éviter de sélectionner les auditeurs comme cela se passait au 16e siècle !

En revanche j’aime bien l’idée d’un concert proche du public, avec lequel on peut échanger et qui puisse vraiment apprécier le timbre de la harpe au plus près. L’idéal serait peut-être plusieurs prestations courtes plutôt qu’un long récital… Il ne faut pas nier aussi que l’exception de ces « concerts secrets » et la rareté en faisaient des évènements immanquables. Mais je ne suis pas certaine que si j’organise un seul concert exceptionnel par an il soit complet. (Elle rit).

Comment faut-il aborder le répertoire du disque et selon quelles pistes de lecture ?

Marie-Domitille Murez : Dans ce disque, j’ai souhaité présenter la harpe ancienne dans toutes ses possibilités expressives et techniques. Ceci à travers des compositions de Luzzaschi, Trabacci, Mayone, de Macque et Frescobaldi, destinées à la harpe ou au clavier, ou encore des pièces vocales arrangées pour harpe seule. L’art de la diminution et le geste improvisé sont très présents dans ce programme. Il me semblait également pertinent d’y ajouter aussi des pièces all’improviso.

Toute cette musique se veut proche de la voix. Laura était harpiste certes, mais elle chantait aussi tout en s’accompagnant, une pratique que je ne maîtrise pas (encore ? ) ; et pour lui rendre hommage quoi de mieux que la recherche de la ligne vocale, comme si je “chantais” ces ribambelles de notes et j’espère m’en être rapproché notamment grâce à l’aide de Mathilde Etienne qui s’est chargée de la direction artistique en plus du splendide livret du disque.

Que diriez-vous à l’auditeur qui ne connaît ni la harpe triple ni le répertoire que vous lui proposez ?

Marie-Domitille Murez : Contrairement aux idées reçues, il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances historiques ou une oreille éduquée pour apprécier ce répertoire. L’écoute d’un instrument soliste permet plus facilement d’entrer dans le style et se laisser porter par la musique. Le public est souvent étonné par la différence de sonorité entre la harpe triple que je joue et la harpe à pédale présente à l’orchestre ou encore la harpe celtique. On entend davantage le pincé de la corde en boyau de la harpe ancienne, d’une couleur assez cristalline, et les trois rangées de cordes parallèles apportent une résonance qu’il est nécessaire de dompter.

Si le clavecin s’impose dans l’imaginaire collectif lorsque l’on pense à la musique ancienne, il est important de rappeler la place primordiale qu’occupait la harpe triple dans ce répertoire. Notamment pour sa capacité à rendre les affetti, les émotions, grâce à l’immense palette de dynamiques qu’elle peut déployer autant en solo que lorsqu’elle accompagne un chanteur ou autre dessus en réalisant une basse continue.

En ce qui concerne le répertoire, il ne faut pas s’arrêter au terme “musique ancienne” qui parfois inspire une certaine austérité. Il faut plutôt se laisser gagner par la souplesse et la finesse de cette musique dont l’écriture surprenante permet de voyager au travers de couleurs harmoniques magnifiques et inattendues !


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